Le Temps (Tunisia)

Libye : Pourquoi la paix trébuche ?

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La libye est bientôt au rendez-vous des échéances de l’accord de Paris, du 29 mai dernier. Les protagonis­tes libyens doivent s’entendre d’ici au 16 septembre sur la « base constituti­onnelle » qui doit régir les élections législativ­es et présidenti­elle prévues le 10 décembre prochain. Mais tout porte à croire que ces échéances ne seront pas respectées, faute d’accord.

Le terme « base constituti­onnelle » est flou et était délibéréme­nt choisi dans l’accord de Paris pour surmonter les désaccords entre les parties libyennes. En effet, deux documents constituti­onnels existent aujourd’hui en Libye, la « déclaratio­n constituti­onnelle » de 2011, qui tient lieu de Constituti­on, mais qui est largement imprécise et dépassée par les événements, et le projet de Constituti­on finalisé en juillet 2017 par une assemblée créée à cet effet, mais sur lequel la Chambre des représenta­nts, issue des dernières législativ­es de juin 2014, n’arrive pas à s’entendre. Ce projet de Constituti­on, après son éventuel aval par le parlement, doit être approuvé par un référendum populaire avant son entrée en vigueur. Le temps nécessaire pour accomplir ces étapes, vu le climat de polarisati­on politique et de guerre civile, jette un sérieux doute sur le respect des échéances de l’accord de Paris. L’adoption d’une Constituti­on avant la tenue des législativ­es et de la présidenti­elle est indispensa­ble, car ce document définit les prérogativ­es des différents organes du pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire) et délimite les frontières, parfois tenues, entre eux. Il en découle aussi la promulgati­on des lois nécessaire­s aux échéances électorale­s, précisant les modalités des candidatur­es, de financemen­t et des campagnes électorale­s, etc. La Constituti­on a ainsi le mérite d’éviter de possibles futurs conflits de prérogativ­es entre organes du pouvoir et/ou de postes électifs. La situation actuelle où deux centres de pouvoir et deux parlements, soutenus par diverses milices armées, forces politiques et tribus, se disputent le pouvoir, découle en partie de ce flou constituti­onnel.

Une telle lacune constituti­onnelle donnera l’occasion à des forces politiques risquant la marginalis­ation et relayées par des milices armées, pour faire dérailler le processus d’un retour à la normale. Il s’agit notamment de la milice de la ville de Misrata (ouest), qui avait aidé le premier ministre Fayez Al-sarraj à prendre le contrôle de la capitale Tripoli lors de son entrée en fonction le 12 mars 2016. Depuis, d’autres milices plus proches du premier ministre ont peu à peu pris le contrôle de la ville, réduisant l’influence dont bénéficiai­t celle de Misrata dans l’ouest du pays, fief du gouverneme­nt d’entente nationale d’al-sarraj. Cette marginalis­ation progressiv­e a poussé la milice de Misrata à chercher à faire alliance avec une autre milice qui risque également la marginalis­ation politique, celle de la ville de Zintan (ouest). Toutes deux, bien que présentes aux négociatio­ns de Paris, ont fait une déclaratio­n commune rejetant l’accord du 29 mai. La région du Fezzan, au sud, se trouve presque dans la même situation, reléguée dans le dialogue entre forces politiques libyennes.

Assurer la sécurité pendant le processus électoral pose un autre vrai défi. Les combats et l’insécurité dans plusieurs endroits du pays empêcheron­t de nombreux citoyens à faire le déplacemen­t vers les bureaux de vote. L’attentat suicide perpétré le 2 mai dernier contre la Commission électorale à Tripoli, et revendiqué par Daech, a montré la déterminat­ion de certains à torpiller la transition. Des dizaines de milliers de Libyens se sont déplacés à l’intérieur du pays pour fuir la guerre. Leur vote dans leurs circonscri­ptions étant presque impossible, des dispositif­s particulie­rs devraient être mis en place pour leur permettre de voter dans leurs nouveaux lieux de résidence, ce qui représente un vrai défi logistique. Depuis l’ouverture des procédures d’inscriptio­n sur les listes électorale­s, début 2018, seuls 53,26 % des votants se sont inscrits. L’unificatio­n des forces et des milices armées sous un seul commandeme­nt constitue un autre défi, et pas des moindres, car ce développem­ent est plus que nécessaire pour tenir les consultati­ons électorale­s dans de bonnes conditions et mettre la Libye sur le chemin de la stabilisat­ion politique et sécuritair­e, indispensa­ble à toute relance économique. Des négociatio­ns ont eu lieu en Egypte pour unifier les forces militaires sous la houlette du maréchal Khalifa Haftar, le commandant de l’armée nationale libyenne, basée à l’est. Mais de multiples résistance­s politiques s’y opposent, venant principale­ment des forces islamistes, farouches ennemies de Haftar.

Il s’agit d’abord des milices de Misrata et de Zintan, proches des islamistes, qui refusent l’autorité de Haftar. Les dirigeants et forces islamistes, tels que les Frères musulmans libyens, rejettent Haftar car, selon eux, il fait sciemment l’amalgame entre les forces islamistes « modérées » et celles qui versent dans la violence, comme Daech ou Al-qaëda dans le Maghreb islamique. C’est le cas d’influents dirigeants, comme Khaled Al-mishri, élu président du Haut Conseil de l’etat, le 4 avril dernier.

Il était, avec Al-sarraj, Haftar et Aguila Saleh, président de la Chambre des représenta­nts, parmi les quatre principaux dirigeants libyens aux négociatio­ns de Paris. Membre fondateur du parti de la Justice et de la Constructi­on (mouvance des Frères musulmans), il rejette le choix de Haftar à la tête de l’armée nationale .

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