Liban ; capitale : Téhéran
Gravement blessée, pratiquement agonisante, la bête est désormais beaucoup plus dangereuse. L’état islamique se désintègre, et de cette fission, de cette (re-)qaëdisation, naissent régulièrement des vocations, des envies, des petits arrangements, des idées que peut saisir au bond tel ou tel groupe, Arabes séparatistes en tête ; naissent cent et un groupuscules, cent et une tentacules, plus ou moins efficaces, plus ou moins inquiétants, plus ou moins déterminés. La bête se meurt et ses enfants s’éparpillent aux quatre coins du monde, moins organisés, moins assurés, mais tout aussi barbares et tout aussi enragés.
On l’attendait, cet attentat spectaculaire en pleine bataille d’idleb. En Syrie, au Liban, en Irak, peut-être, mais pas vraiment en Iran. Pas en cette Journée nationale des forces armées, particulièrement symbolique, à travers laquelle les ayatollahs célèbrent l’impérialisme perse ; pas nécessairement en ce lieu, la très arabe Ahvaz. Chiites, sunnites, chrétiens, juifs : les terroristes islamistes se moquent royalement de la religion des innocents qu’ils massacrent, et leur danse de mort a ravagé indistinctement des dizaines de villes dans tout le Proche-orient. Et tant mieux s’ils peuvent faire d’une pierre trois coups : se rappeler au mauvais souvenir du monde entier, tuer un maximum d’innocents et allumer autant de feux possibles, notamment entre l’iran et l’arabie saoudite.
Que les responsables soient les Arabes séparatistes ou, bien plus vraisemblablement, L’EI ou ses reliquats, la réaction des autorités iraniennes a été férocement prévisible, mettant immédiatement en cause « les parrains régionaux du terrorisme et leurs maîtres américains », oubliant même de rajouter Israël dans son réquisitoire. Dans ce Stratego grandeur nature pour le contrôle arabo-musulman du Proche-orient, joué à travers l’histoire contemporaine à quatre par Ankara, Le Caire, Riyad et Téhéran, plus rien ne compte, ou presque, à part la guerre folle, pour l’instant par procuration, qui oppose les deux théocraties les plus fanatiques qui soient : l’iran et l’arabie saoudite.
Les Iraniens ont promis une réponse « terrible » après l’attentat d’ahvaz. Soit : c’est de bonne guerre. Et cette réaction peut prendre plusieurs directions, couleurs, formes et intensité. Sauf que tout le monde connaît le terrain de jeu adoré des puissances régionales (et pas que…) ; tout le monde sait quelle est cette arène idéale pour des règlements de comptes iranosaoudiens, surtout depuis que la guerre du Yémen a montré ses limites, en même temps que toute l’étendue de son pourrissement ; tout le monde est conscient que tant que Riyad et Téhéran veulent éviter un choc militaire frontal, c’est dans une ville, et une seule, qu’ils peuvent (et doivent) jouer leur bras de fer : Beyrouth. Maintenant que le Hezbollah, milice et mercenaires confondus, a fini de contrôler toutes les décisions souveraines du Liban, maintenant que Saad Hariri a compris qu’il ne peut rien faire sans les Saoudiens et que les Saoudiens ont assimilé l’importance du Liban dans leur stratégie régionale, voilà le Liban encore plus ouvert à tous les vents mauvais – à ce que Ghassan Tuéni a simplement et indiscutablement appelé la guerre des autres. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, ces (deux) autres, indépendamment de leurs intérêts, supérieurs ou pas, indépendamment de leurs tactiques ou de leurs visions, indépendamment de la Syrie, d’israël ou des États-unis, se haïssent intrinsèquement. Convaincus, tant à Riyad qu’à Téhéran, qu’à la fin, il ne peut (il ne doit) qu’en rester un. De régime. Que l’autre doit radicalement changer.
Le problème, c’est qu’aujourd’hui, quand l’iran s’enrhume, le Liban tousse, se mouche, grelotte de fièvre et perd pratiquement toute son immunité. Le problème surtout, c’est que le parachutage de Michel Aoun et de sa famille au palais de Baabda il y a deux ans a rendu sinon improbable, du moins extrêmement compliqué, l’espoir de trouver médecins et médicaments.