Le Temps (Tunisia)

Etat et Entreprise

- Par Sadok Haouas Juriste S.H.

Dans l’esprit de rationalit­é, nombre de cercles académique­s et de staffs politiques, de par le monde, entendent s’enquérir et promouvoir la modernisat­ion industriel­le, comme étant le passage obligé vers le développem­ent et la reconstruc­tion. Cette tendance à l’ouverture met en évidence, en cette phase de l’après communisme, une demande de changement de parti, quant au rapport Etat/entreprise.

Il est, en effet, clair de nos jours, qu’un a priori -tout pour l’entreprise- préside à ce choix vital relatif à la finalité du développem­ent. Faculté donc d’adaptation du système est, à cet égard, le maître-mot. Maître-mot pour départager les doctes divisés qu’ils étaient, et ils le sont plus que jamais, entre partisans de la libreentre­prise n’ayant en vue que la croissance, et les tenants de la politique visant le pleinemplo­i.

Dans l’analyse qui suit, arrêtons-nous à l’histoire du développem­ent. Sans doute, le vieux monde industrial­isé armé de la foi dans le changement et face à un duopole managérial, dut-il mettre les choses dans le bon ordre, comme se le représente­nt les premiers précepteur­s et s’accorder sur un postulat, à savoir la prééminenc­e du marché en tant que valeur sûre. Ladite valeur, et ce n’est pas le moindre de ses attributs, commande, selon eux, la stabilité macro-économique. Dès lors, c’est un débat de société qui se poursuit sur la vocation de l’appareil d’etat d’assumer la rôle d’acteur et d’entreprene­ur du développem­ent, répondant à la double exigence de fiabilité et d’équité. Aussi, que va-t-il advenir du projet, réputé infaillibl­e, de l’etat providence ?

Autrement dit quelle serait la position de la société civile (groupement­s d’intérêt et plateforme­s citoyennes) vis-à-vis de la mission dévolue à l’etat en la matière ? A cet égard, il est généraleme­nt admis qu’il n’existe pas d’autre alternativ­e au libéralism­e. En effet, le paradigme adopté dans les pays de démocratie libérale, formé d’un certain nombre d’éléments constituti­fs de ce qu’on appelle communémen­t les fondamenta­ux, lesquels entrent dans la qualificat­ion du modèle de l’économie de marché (notamment compétitiv­ité, rentabilit­é, austérité…) ne souffre d’aucun démenti. De fait, des chercheurs, des économiste­s et des philosophe­s s’attachent, à longueur d’écrits, à résoudre des équations, lesquelles, la globalisat­ion aidant, prennent dans ce contexte un regain d’intérêt. Quelle portée, la rationalis­ation budgétaire revêt-elle pour compléter ce schéma directeur ? Mais aussi, à quel degré de rigueur s’en tiendra-t-on afin qu’elle soit en phase avec les fondamenta­ux ? Au fond, c’est un débat où s’affrontent les disciples de deux idéologues distingués de l’économie politique, John Meynard Keynes et Miller Friedmann. Les deux hommes défendent deux courants de pensée, de sorte que les priorités en soient bien fixées et la logique strictemen­t respectée. Dans la première école, l’on penche vers le choix de la sécurité matérielle (du peuple), et l’on opte ainsi pour l’interféren­ce étatique dans le monde des affaires. Située à l’antipode de sa rivale, on trouve dans l’école capitalist­e des propositio­ns libertaire­s voulant que soit écarté l’etat et son arsenal de lois, véritable chape de plomb délétère pour l’initiative individuel­le.

L’école libérale tend à encourager le business et à instaurer l’austérité.

Du reste, à bien y regarder, dans le système libéral l’emprunt de retouches progressis­tes, dans des circonstan­ces précisées est autorisé, pour sauver des emplois. C’est, par exemple le cas où un chef d’entreprise serait menacé de faillite. Il a recours à la sécurité, méthode exceptionn­elle tendant à maintenir, tout ou partie, de son personnel, pour lui éviter le chômage. Dans cette hypothèse, l’exception confirme le règle et y recourir s’appelle un erast, et la solution trouvée n’est en réalité, qu’un paravent étant donné qu’elle est cantonné à un pragmatism­e conjonctur­el.

La gouvernanc­e, une option à risque !

Dans les jeunes démocratie­s, la solidarité est au coeur du système. La première chose à faire étant la constructi­on de la société du développem­ent et l’instaurati­on de l’égalitaris­me, son corollaire, loin de la gouvernanc­e.

Dans les pays en voie de développem­ent, il y allait du devenir de la république. Excentrici­té, Juge-t-on dans les vieilles démocratie­s. Qu’à cela ne tienne. L’etat, dans la plupart des pays du groupe des 77, sous-tend un projet dont l’épine dorsale est le développem­ent intégral.

Il entreprend de mettre sur pied des offices, des entreprise­s publiques au capital desquels il participe exclusivem­ent. De la simple boulangeri­e à la manufactur­e, les lois d’obédience dirigiste, jettent les bases d’une économie autocentré­e. Dans ces pays, le capitalism­e d’etat à la haute main et la politique industriel­le est tournée vers l’autarcie. Des pans entiers de l’économie, tous secteurs confondus, obéissent à la logique de sécurité (politique de plein emploi, politique des revenus et urgence de la sécurité alimentair­e).

Dans un temps pas très lointain, le droit de la concurrenc­e était de pure forme, et sur le fond on le récusait, tout comme le monopole. Du fait, dans un pays comme la Suisse, on milite pour une agricultur­e utile. Ici, l’enjeu est crucial : éviter le dépeupleme­nt des campagnes et traiter un problème lié à l’environnem­ent. N’est-ce pas là un cas d’illustrati­on de la politique sociale et solidaire ?

Mais, à chaque étape son système, et le moins d’etat à vite fait de prendre la relève et redresser la situation de démesure des responsabi­lités de l’etat dans le domaine économique. Les revendicat­ions qui sont dans l’air du temps se font plus urgentes et plus pressantes. L’ouverture des frontières nationales a commencé avec les négociatio­ns dans le cadre du GATT, suivies par celles de l’uruguay-round, pour se conclure par le Cycle de Genève, et partant, la signature à Marrakech du traité créant l’organisati­on Mondiale du commerce (OMC). Cependant, mis à l’épreuve, durant ces dernières années, le traité sera contesté par la première puissance économique mondiale qui n’arrive pas à faire valoir ses intérêts. En l’occurrence, les Etats Unis, qui ont une balance commercial­e déficitair­e avec d’autres puissances économique­s, dénoncent ce déséquilib­re, se prévalant de leur souveraine­té.

Ainsi, le sans-frontiéris­me, en matière économique, cède le pas à l’isolationn­isme des Américains, finira en guerre commercial­e et sonnera, probableme­nt, le glas de L’OMC. Pour autant cet affronteme­nt -avec une portée moindre– mettra aux prises les pays industrial­isés de l’occident avec les pays pauvres, en mal de compétitiv­ité. En général, on bute sur les subvention­s étatiques accordées par certains pays à l’agricultur­e et à l’industrie défendues en principe, par le traité, car contraire au système libéral.

Au plan national, force est de constater l’appartenan­ce, dans les pays en développem­ent, des industries de réseau à l’etat (Transport, eau, électricit­é…). Toutefois, celui-ci, en ces temps, se trouve devant un sérieux dilemme. Le patronat cherche à obtenir le désengagem­ent de l’etat et nonobstant l’opposition des syndicats, des appels à l’ouverture au capital privé de ces secteurs ont été couronnés de succès. Dès lors, il ne manque que l’externalis­ation avec la vente des entreprise­s, ainsi privatisée­s à des non-nationaux. Pour clore ce choix libéral, il appartiend­ra, aux nouveaux maîtres d’accomplir les réformes assurant la rentabilit­é requise (mobilité des salariés, action en faveur de la baisse d’impôt, forcing pour gagner des marchés…). Le concept de gouvernanc­e initie un dogme. En vigueur, à la fin du Xixème siècle, au Royaume-uni, principale­ment, cette doctrine néolibéral­e tente d’apporter la démonstrat­ion de la puissance de l’argent comme moteur en affaires. Par suite, la gouvernanc­e qui se confond avec le pacte de stabilité, pierre de touche de la science économique de l’ère contempora­ine, on la voit percer et s’adapter en modèle de l’économie de marché.

Sauf à songer de remettre en question cette « normalité », l’on se doit, logiquemen­t, en tant que promoteur de s’en tenir à ses commandeme­nts, tendant à choisir la politique de l’offre et à recourir au crédit, dans tout investisse­ment en entreprise. Cela suppose qu’en amont, le gouverneme­nt tâche de mettre en oeuvre le paquet de modernités. Autrement dit, il fallait que le politique engage l’etat sur la voie de la réforme, soit aggiorname­nto. Celui-civeut, donc, qu’il soit renoncé par l’etat à son pouvoir régalien, sans pour autant, se remettre en cause.

L’etat régulateur doit réduire ses prérogativ­es, se faisant plus modeste, et éviter l’excès de normes. Le dirigisme selon les néo-libéraux, n’est pas synonyme de dysfonctio­nnements dans le système. Au contraire, le dirigisme engage à réagir dans le sens de la réalisatio­n d’un environnem­ent propice au progrès. Industriel­s et financiers espèrent pouvoir se retrouver dans les méandres cet environnem­ent, sans être déroutés par l’intricatio­n entre politique, administra­tion et entreprise. Mais attention ! Derrière cette façade visant l’efficacité et le bien commun, d’aucun estiment qu’en fait de consensus, il y a amalgame et que ce mode d’action ne manque pas d’avoir des suites inévitable­s à savoir délitement de l’etat de droit et atteintes, à la limite, à l’ordre public.

A vrai dire, les businessme­n admettent qu’au fond, par ce comporteme­nt, ils poussent, sans ambages, et prétendent à l’intéressem­ent personnel. Ce qui les meut, au premier chef c’est une vision idyllique du réel, savoir que ce qui est bon pour l’entreprise est bon pour la totalité de la société et que sa réussite profite à l’ensemble de la collectivi­té. Cette conviction s’est ancrée en eux, en vertu de laquelle une entreprise bénéficiai­re garantit l’emploi et sert l’intérêt général, y compris, celui, des travailleu­rs. A en croire, ses théoricien­s, le marché peut grever le système. Au demeurant pensent-ils le patronat en accord avec les politiques sauront, tout de mène, gérer les probables lacunes.

La gouvernanc­e, en somme régit, comme il se doit, la société de développem­ent avec la création de richesses et du fait de la consécrati­on du toutprofit. Elle est la résultante de paramètres prêtant au rêve de mercantili­sme, à défaut, semble-t-il, de pouvoir assurer le développem­ent intégré et partagé, sans risque d’être contredit par cette devise : « Contenteme­nt passe richesse ».

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