Arabie saoudite : qu'attend-on?
Près de 50 jours après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi par le régime saoudien, le Canada soupèse toujours sa réplique et continue sa révision du fameux contrat de vente de véhicules blindés légers à l’arabie saoudite. Les faits sont pourtant clairs et accablants. Que fautil de plus ?
Plus personne ne doute que l’assassinat du journaliste au consulat saoudien d’istanbul, en Turquie, le 2 octobre dernier a été perpétré par des agents de Riyad. Après avoir offert une cascade de versions farfelues, les autorités saoudiennes ont fini par le reconnaître. Vingt et un agents sont considérés comme suspects, et onze ont été inculpés pour avoir « drogué, tué et démembré » M. Khashoggi, selon l’acte d’accusation du procureur général saoudien. L’arabie saoudite ne pouvait plus s’esquiver, le gouvernement turc ayant en main un enregistrement sonore de la séance de torture et de décapitation du journaliste. Et il l’a partagé avec ses alliés, y compris le Canada. Contrairement aux autres pays, la Turquie n’hésite pas en plus à blâmer les membres des plus hauts échelons du régime saoudien. Est visé au premier chef le prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé « MBS », la cible des critiques sévères de Jamal Khashoggi. Riyad nie avec vigueur, mais vendredi, lewashington Post révélait que, selon ses sources, la CIA aurait suffisamment d’informations pour lier MBS au meurtre.
Depuis la fin octobre, plusieurs pays ont réagi à l’assassinat du journaliste, dont l’allemagne, qui a suspendu toutes ses ventes d’armes au régime saoudien. Les États-unis ont imposé un gel des biens et avoirs en sol américain de 17 Saoudiens soupçonnés d’avoir participé au crime. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a indiqué que le Canada pourrait imiter les Américains, mais rien n’a encore été annoncé.
Le Canada a bien sûr joint sa voix au concert de dénonciations et demandé une enquête « transparente ». Il a dit réexaminer sa relation avec le royaume wahhabite. Il s’est aussi associé à Washington et à Londres pour appeler à un cessez-le-feu et à des négociations de paix pour mettre fin à la guerre au Yémen. Depuis trois ans et demi, une coalition de pays à majorité sunnite, menée par l’arabie saoudite, y combat sans merci les rebelles houthis, soutenus par le régime chiite iranien. À cause de cette guerre, plus de huit millions de civils sont acculés à la famine, soit « la pire crise humanitaire au monde », selon les Nations unies.
La pression internationale, que la Turquie a su avec raison fouetter, a eu un certain effet. Des accusations ont été portées contre les présumés assassins et, selon Londres, le régime saoudien serait ouvert à d’éventuels pourparlers de paix. On ne peut cependant s’arrêter là ni se contenter de cela, y compris à Ottawa. Il faut faire des gestes. Et non seulement en réaction à ce meurtre.
Il suffit de lire les rapports des organisations humanitaires sur l’arabie saoudite pour s’en convaincre. Les poursuites judiciaires, les arrestations et les détentions arbitraires contre les militants des droits de la personne y sont monnaie courante.
Les libertés d’expression, de presse, d’association et de réunion sont sans cesse bafouées. La peine de mort y est fréquemment imposée, par décapitation bien souvent. La torture et les mauvais traitements se poursuivent en toute impunité. La minorité chiite est victime de constante discrimination. Et que dire des femmes qui sont traitées en mineures et qui, par conséquent, sont sujettes à un apartheid sexuel ? Comment peut-on permettre la moindre vente d’armes à ce genre de pays ?
Décider ce qui pèse le plus lourd devrait pourtant être simple : un bilan et des actes affligeants d’un côté ou, de l’autre, un contrat qui fait de l’arabie saoudite le second client pour le matériel militaire canadien. Ce contrat a été signé sous les conservateurs, mais les autorisations nécessaires à sa concrétisation ont été accordées par les libéraux en avril 2016, quatre mois après que l’arabie saoudite eut procédé à des décapitations de masse, dont celle du leader chiite, le cheikh Nimr al-nimr.
Le contrat de vente de véhicules blindés légers est légal, mais est-il moral ? Tant qu’il se poursuivra, tant que le Canada continuera d’approuver la vente de matériel militaire à des pays comme l’arabie saoudite, il faudra conclure que la défense des droits de la personne est soluble dans l’argent.