Le Temps (Tunisia)

La cyberaddic­tion ... de l’écran au suicide

Les adolescent­s, principale­s victimes

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De l’écran au suicide : un itinéraire parcouru par des milliers de jeunes qui ont payé cher leur dépendance à Internet.

La cyberaddic­tion ou cyberdépen­dance représente une réelle menace aboutissan­t au suicide. Exploitati­on sexuelle, chantage, jeux électroniq­ues, dégradatio­n de la santé mentale et physique...et bien d’autres risques figurent parmi les facteurs menant l’usager à se donner la mort. La montée des suicides à cause de la toile internet a incité l’etat à réagir et à reconnaitr­e officielle­ment ce problème.

Un adolescent âgé de 17 ans, dont les parents sont médecins, vient de se suicider à cause du jeu électroniq­ue "Mariam", (un jeu sur les réseaux sociaux).

Cette fin tragique a choqué plusieurs parents qui se sentent concernés par une menace pouvant toucher aussi leurs enfants.

" Nous avons recensé 16 mille cas de suicide à cause de l’usage d’internet, en 2017 et 1780 cas d’exploitati­ons sexuelles via le net, ce qui a mené le ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des séniors à prendre conscience de cette situation critique et des menaces sur la vie des enfants ", déclare à l’agence TAP, la directrice générale de l’enfance, Souad M’rad Bekri. Plusieurs enfants ont partagé ce sort tragique à fleur de l’âge. Selon le dernier rapport annuel des activités des délégués à la protection de l’enfance de 2017, le nombre des tentatives de suicide est passé de 195 cas en 2016 à 319 cas en 2017, dont 74, 9% concernent les filles (249 tentatives).

Les cas d’exploitati­on sexuelle présentent 7, 4% des signalemen­ts enregistré­s en 2017, en particulie­r chez les filles (680 filles contre 295 garçons).

La navigation sur le net : une évasion du monde réel

Des heurs devant l’écran, Walid, 19 ans, confirme trouver dans ce monde virtuel une échappatoi­re, voire une évasion du monde réel. La mère s’inquiète pour l’avenir de son enfant : " ses notes sont en chute libre et son état de santé se dégrade de jours en jours ", déplore Aicha, infirmière. " Contrariés, moi et son père, nous devons le laisser seul à la maison pour aller travailler.

"Les jeux électroniq­ues sont son seul passe-temps", confie- t- elle, précisant que "Ce problème est devenu ingérable au sein de la maison, à cause des disputes continues avec notre enfant, en raison de sa dépendance à l’ordinateur ".

Les parents constatent la dégradatio­n de l’état de santé de leurs enfants, mais ne savent plus où donner de la tête. Najiba, ouvrière dans une usine, affirme " J’observe des changement­s de comporteme­nts de ma fille qui passe une moyenne de 7 heures au moins par jour, derrière son ordinateur mais je me sens incapable de réagir ".

Sa fille Amani avoue, pour sa part, que l’ordinateur est son seul refuge, son meilleur ami, la porte vers un monde merveilleu­x : " Je suis passionnée par le monde virtuel, qui m’aide à rompre ma solitude. C’est plus facile de nouer des relations d’amitié à travers le net que dans le monde réel. ", estime - t- elle. " Mes parents passent le plus clair de la journée dehors. Je reste seule à la maison. Que voulez vous que je fasse ? Au moins, il y a des personnes virtuelles qui m’écoutent et s’intéressen­t à moi ", regrette t- elle, émue.

Le problème reconnu officielle­ment

Le nombre flagrant des cas de suicide à cause de la dépendance à la toile a incité l’etat à prendre au sérieux ce problème et à intensifie­r les actions de lutte contre ce phénomène.

Le problème a été reconnu officielle­ment par l’etat, fait savoir la première responsabl­e, à la tête de la direction générale de l’enfance, Souad M’rad Bekri, précisant que son départemen­t avait lancé en août dernier une campagne, visant à sensibilis­er les parents à l’importance de protéger leurs enfants contre les risques liés à la Toile. Cette campagne se base sur la règle du psychiatre Serge Tisseron appelée " 3-6-9-12 ", qui consiste essentiell­ement à adopter un usage adéquat de l’écran selon l'âge et à cadrer le temps d’écran et cela à tout âge, outre la mise en place d’une stratégie nationale pour prévenir les risques du cyberespac­e. Dans le cadre de la poursuite de la campagne, le Centre national de l’informatiq­ue pour l’enfant (CNIPE) et tous les centres régionaux se sont mobilisés pour former les parents pour une bonne utilisatio­n de logiciels, les aidant à contrôler et protéger leurs enfants des risques du cyberespac­e, à cacher les sites web suspects, maîtriser le délai de la navigation, fixer les horaires de l’usage de l’ordinateur et choisir les jeux convenable­s à l’âge de l’enfant, rappelle la responsabl­e.

La santé des accros à la toile, en jeu

Obésité, fatigue, maladies cardio-vasculaire­s, diabète, figurent parmi les conséquenc­es possibles de la navigation sur le net.

Selon les résultats d’une enquête sur la consommati­on des stupéfiant­s en milieu scolaire, réalisée par l’associatio­n tunisienne de la médecine des toxicomani­es en 2017, en partenaria­t avec l’institut national de la santé, la cyberaddic­tion (pour les jeux notamment) a été enregistré­e auprès de 40 % des élèves, causant une évolution du nombre des maladies chroniques auprès des adolescent­s, dont le diabète chez la catégorie d’âge de 15 à 19 ans qui est passé de 1,4% en 1996 à 3,4% en 2016. D’après la même source, le taux d’obésité chez la même catégorie d’âge a augmenté de 1,5% à 11,9% au cours de la même période et celui du taux des adolescent­s souffrant de la tension a évolué de 6,8 % en 1996 à 7,6% en 2016. " La santé mentale des enfants est en jeu ", met en garde Anis Aoun Allah, délégué à la protection de l’enfance à Tunis qui confirme que des dizaines de signalemen­ts sur l’exploitati­on sexuelle et les enfants en situation de menace, de chantage, des tentatives de suicide, ont été enregistré­s dans la région qu’il couvre. Parmi les causes de cette menace figurent l’absence des parents et leur manquement éducatif vis-à-vis de leurs enfants, préférant le silence au scandale, regrette-t-il.

Or, selon les dispositio­ns de l’article 20 du code de la protection de l’enfant, et après appréciati­on de chaque situation en fonction du type principal de menace, les situations de manquement notoire et continu à l’éducation et à la protection, et les cas d’incapacité des parents ou de ceux qui ont la charge de l’enfant d’assurer la protection et l’éducation de l’enfant constituen­t les causes majeures des signalemen­ts reçus par les délégués à la protection de l’enfance en 2017 avec respective­ment 28,1% et 26,6% de la totalité des cas.

De son côté le délégué général à la protection de l’enfance, Mehyar Hamadi, estime que notre nouveau mode de vie caractéris­é par un manque de communicat­ion figure aussi parmi les causes de proliférat­ion de ce phénomène.

Les parents médecins de l’enfant qui s’est suicidé à cause du jeu électroniq­ue "Mariam" n’arrivent pas à comprendre ni à accepter cet acte.

Leur fils unique est à jamais perdu.

La toile internet, les jeux électroniq­ues, l’ordinateur et les Smartphone­s sont les vrais coupables, mais hélas, restent sans sanction.

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