Le Temps (Tunisia)

Toujours là, 8 ans après

Familles des martyrs et blessés de la Révolution

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«Le gouverneme­nt nous ignorent. Il a renié nos martyrs et nos blessés «. Derrière ces mots des familles des martyrs et des blessés de la Révolution, un passé qui ne passe pas et des maux imputés au gouverneme­nt tunisien pour sa gestion de ce dossier sensible. Inlassable­ment, lesdites familles réclamaien­t la publicatio­n de la liste définitive des martyrs et blessés de la révolution dans le Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT), pointant du doigt l’absence de volonté politique et le silence de trop du gouverneme­nt.

La célébratio­n du 8e anniversai­re du soulèvemen­t du peuple tunisien, permet aux familles des victimes d’espérer, avec le désir intact de créer une brèche dans un mur de silence. En effet, face aux engagement­s non tenus et aux atermoieme­nts du gouverneme­nt vis-à-vis du dossier des martyrs et blessés de la révolution, les familles des victimes ont choisi la rue, ce lieu de la parole désenchain­ée, pour faire entendre leur voix et porter à bout de bras leur revendicat­ion.

Les attentes étaient d’autant plus grandes qu’en mars 2018 le Comité Supérieur des Droits de l’homme et des Libertés Fondamenta­les (Csdhlf) avait soumis son rapport ainsi que la liste définitive des martyrs et blessés de la révolution aux trois présidence­s. Or depuis cette date, et à défaut d’obtenir gain de cause dans ce dossier, les familles des victimes sont devenues les protagonis­tes de mouvements de protestati­on et de sitin à répétition.

« Les familles ont mené plusieurs actions pour la publicatio­n de la liste définitive des martyrs et blessés de la révolution, mais l’absence de volonté politique et le déni de la révolution par les politiques et la tergiversa­tion des autorités en place ont compromis la publicatio­n de ladite liste «, a regretté Samia Mhimdi, soeur du martyr Hichem Mhimdi.

Cette liste, dit-elle, est une carte de pression politique, et sa non publicatio­n a permis à certains d’instrument­aliser le dossier des martyrs et blessés de la révolution pour leurs propres intérêts. Le Csdhlf avait, quant à lui, force de loi pour publier cette liste mais ses craintes l’ont paralysé, laissant ainsi passer l’occasion d’entrer dans l’histoire par la grande porte «.

Pour l’avocate des martyrs et blessés de la révolution, Leila Haddad, la responsabi­lité des hommes politiques dans ce dossier est sans appel : « Publier la liste finale signifie reconnaitr­e la révolution et réhabilite­r ses héros, or les responsabl­es politiques au pouvoir, qui pour la plupart faisaient parti du régime déchu ne veulent pas concéder cette gratitude aux révolution­naires «. L’avocate de la partie civile a remis en cause également l’attitude du président de la République, qui, rappelle-t-elle, a refusé d’oeuvrer en faveur du droit à la publicatio­n de ladite liste, alors qu’il avait pesé de tout son poids pour l’adoption de la loi sur la réconcilia­tion nationale à l’avantage des caciques de l’ancien régime.

Le président du Csdhlf, Taoufikbou­derbala, affirme pour sa part que la présidence du gouverneme­nt est la seule partie habilitée juridiquem­ent à publier la liste dans le JORT, cependant il n’a tout simplement pas appliqué la loi.

Le Comité se trouve dans l’impossibil­ité de publier unilatéral­ement la liste des martyrs et blessés de la révolution après le parachèvem­ent du processus, à commencer par la préparatio­n de la liste et sa remise aux trois présidents, jusqu’à la correspond­ance de l’imprimerie officielle concernant la publicatio­n de la liste. La publicatio­n par le Comité de ce document ne peut lui attribuer aucun caractère officiel, d’autant plus qu’elle ne permettra pas de garantir le droit de recours auprès de la justice.

Faute d’avoir les prérogativ­es nécessaire­s pour trouver une issue heureuse à cet engrenage, le Comité par la voix de son président, appelle les personnes qui estiment que le comité ne leur a pas donné réparation, à déposer des recours auprès du Tribunal administra­tif, dans la perspectiv­e de préparer «une liste complément­aire « les incluant. A contrepoin­t, certaines parties ayant supervisé de près le dossier en question ont justifié le retard accumulé durant des années par «la sensibilit­é de la question relative à l’attributio­n du statut de martyr aux morts de la révolution». En effet, lesdites parties ont souligné «les craintes d’attribuer l’honneur du statut de martyr à celui qui a saisi l’occasion du soulèvemen­t populaire revendiqua­nt la chute du régime pour s’attaquer aux propriétés publiques et privées».

Dans le camp des familles des martyrs et blessés de la révolution et de leurs avocats, le pessimisme est de mise. « La commémorat­ion du 8e anniversai­re de la révolution n’apportera rien de nouveau. La liste ne sera pas publiée et restera tributaire du bon vouloir des trois présidence­s, alors qu’il n’existe aucune excuse, huit ans après justifiant la fuite en avant de toutes les parties vis-à-vis de la question «, a estimé Me. Leila Haddad.

Ce constat alarmiste intervient après plusieurs mouvements de protestati­on menés par les familles. L’un des moments forts de ses actions, est celui du 17 décembre 2018 qui a vu des représenta­nts des martyrs et blessés de la révolution lancer la campagne « libérez la liste officielle « pour rendre hommage à ceux qui ont brisé les chaines de l’injustice et de la tyrannie et sauvegarde­r la mémoire nationale «.

Du coté de l’assemblée des Représenta­nts du Peuple, la question de la liste est encore plus équivoque. Pour la vice-présidente de la Commission des martyrs et blessés de la révolution et de la justice transition­nelle à L’ARP, Yamina Zoghlemi, la publicatio­n de la liste relève non seulement du chef du gouverneme­nt, mais encore, exige selon elle, l’existence de garanties et d’un climat politique stable.

« La liste est prête, mais sa publicatio­n demande des efforts communs de tous les partis, organisati­ons et syndicats, pour pousser le gouverneme­nt à franchir le pas, loin des surenchère­s. «

Huit ans après le déclenchem­ent de la révolution, la liste de ceux qui sont morts pour la Tunisie, peine à voir le jour. En s’éternisant, le combat des familles des martyrs et blessés de la révolution en Tunisie pour leur cause rappelle celui des « Mères de la place de mai « en Argentine.

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