Les «gilets jaunes» ou la gouvernance impossible
Le mouvement des «gilets jaunes» n'est pas prêt de s'arrêter. Les fêtes de fin d'année ont provoqué une décrue de la mobilisation. Mais, passé le Nouvel an, celle-ci a montré qu'elle est toujours présente. Si les revendications d'origine sur les taxes frappant les carburants et le diesel en particulier ou l'amélioration du pouvoir d'achat pour les bas salaires ne sont plus au coeur des slogans –l'exécutif y a en partie répondu à coups de milliards d'euros–, les manifestations hebdomadaires parisiennes se poursuivent avec des objectifs politiques visant clairement les représentants du pouvoir.
La violence de certains manifestants et la répression policièrequi l'accompagne deviennent, malheureusement, les paramètres affligeants d'une sorte de spectacle attendu, chaque semaine, par les médias en continu et les réseaux sociaux. Semaine après semaine, les exactions des uns et la brutalité des autres montent d'un cran. C'est l'éternel diptyque «provocation-répression». Le pouvoir et ceux qui le soutiennent dénoncent la montée crescendo des multiples «provocations», les «gilets jaunes» et ceux qui les encouragent stigmatisent la «répression» policière et ses bavures. Une sorte de mécanisme incontrôlable s'est mis en place. Le président de la République et son Premier ministre estiment qu'ils ont enclenché le mouvement d'écoute de la contestation, avec les réponses sonnantes et trébuchantes accompagnées du grand «débat national» qui doit s'ouvrir pour établir les nouveaux cahiers de doléances populaires du XXIE siècle. Les irréductibles, qui bénéficient encore d'un soutien majoritaire de l'opinion, considèrent, eux, qu'ils n'ont pas eu satisfaction. Ils veulent, entre autres choses et pêle-mêle: le rétablissement de l'impôt sur la fortune (ISF), la mise en place du référendum d'initiative citoyenne (RIC) et, surtout, la «démission de Macron»–ce qui, évidemment, ne facilite pas le dialogue.
Comme le mouvement de contestation est dans une phase irrationnelle, bien malin qui peut dire comment il va sortir par le haut. Les «gilets jaunes» refusent catégoriquement d'avoir des porte-paroles qui pourraient synthétiser leurs revendications, il est vrai «insynthétisables», et préfèrent écouter les consignes d'organisation de la révolte données par quelques figures du mouvement, tels Éric Drouet, celui qui «fascine» Jean-luc Mélenchon, Maxime Nicolle, alias Fly Rider, celui qui se complaît dans le complotisme. En face d'eux, l'exécutif, qui a aussi le devoir d'assurer la paix civile et la sécurité des citoyens et citoyennes, n'entend pas laisser se propager indéfiniment le désordre: il prend donc désormais des mesures sécuritaires pour le contrer.
Face-à-face direct
La crise actuelle place les «gilets jaunes» et le pouvoir macronien face à face. Sans aucun autre intervenant. Et sans intermédiaires. Ce face-à-face met ainsi en évidence l'absence des partis d'opposition et des confédérations syndicales dans la confrontation qui se déroule sous nos yeux. Alors même quel'article 4 de la Constitution dispose que «les partis et les groupements politiques concourent à l'expression du suffrage»,qu'ils «se forment et exercent leur activité librement» et qu'ils«doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie», ces mêmes incarnations constitutionnelles des oppositions politiques sont étrangement absentes de la séquence. Pas plus que la majorité, ces partis n'ont vu partir le coup. Ils en sont écartés par les acteurs. Et certains d'entre eux sont désespérément à la remorque.
Pour comprendre ce qui se passe de part et d'autre de ce face-à-face, il faut remonter dans le temps. Assez loin en ce qui concerne les «gilets jaunes». Plus près de nous pour ce qui est du chef de l'état et de son gouvernement. La crise actuelle n'est pas le fruit d'une génération spontanée. Depuis plus de deux décennies, des signaux d'alerte auraient dû être entendus par ceux qui se sont succédés aux manettes du pays.
Se souvenir de 1995, 2002, 2005, 2012, 2016...
Qui se souvient de 1995? Jacques Chirac est élu président de la République en mai au terme d'une campagne électorale fratricide à droite: le thème central de son projet inspiré parphilippe Séguin et Henri Guaino est la lutte contre la «fracture sociale». Il ne faut pas attendre six mois pour que cette dernière tombe dans les oubliettes des promesses non tenues. Le Premier ministre, Alain Juppé, donne la priorité à la lutte contre les déficits. Qui se souvient de 2002? Lionel Jospin, qui a occupé Matignon pendant cinq ans à la suite d'une dissolution hasardeuse de l'assemblée réalisée par Chirac, se fait éjecter aupremier tour de la présidentielle par Le Pen, père.
Qui se souvient de 2005? Les Français et Françaises repoussent par référendum (54,7%) le traité établissant une constitution européenne: deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy, président de la République, signe le traité de Lisbonne... qui s'assoit sur le résultat du référendum français de 2005.