Le Temps (Tunisia)

Crise sociale : halte au lynchage

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L’intimidati­on, la menace et la violence sont les armes de toutes les dictatures, qu’elles soient étatiques, populaires ou, comme jadis, prolétarie­nnes. Il est pour le moins troublant, pour ne pas dire révoltant, qu’il faille rappeler de telles évidences en 2019 dans un pays qui, jusqu’à nouvel ordre, est une démocratie.

Que l’on sache, en effet, et quels que soient les arguments spécieux qui voudraient justifier le contraire, la France est bien une démocratie. Chacun y est libre d’élire ses représenta­nts – à l’elysée ou au Parlement, dans sa ville ou sa région –, de s’exprimer, de débattre, de défendre ses idées, de lire ou d’écouter les médias de son choix, de manifester ou de faire grève s’il le juge nécessaire.

Or le mouvement social qui ébranle le pays depuis bientôt deux mois s’est laissé peu à peu gagner par une vindicte inacceptab­le, qu’il convient de dénoncer. Qu’elle soit le fait de « gilets jaunes » radicalisé­s ou de groupuscul­es d’ultradroit­e ou d’extrême gauche qui profitent de l’occasion pour exprimer leur haine de l’etat, du « pouvoir » et de la loi républicai­ne, la démonstrat­ion de cette agressivit­é est désormais quotidienn­e. Cette virulence peut être aggravée, mais non justifiée, par des violences policières tout aussi intolérabl­es.

« Collabos »

C’est un déferlemen­t d’attaques et d’injures visant tout ce qui ressemble à une institutio­n. Le président de la République, bien sûr, qui est l’objet de tous les ressentime­nts. Par extension, les ministres et les parlementa­ires de la majorité. Sans même parler des journalist­es, aimablemen­t traités de « collabos », empêchés de faire leur travail, voire molestés, dès qu’ils s’avisent d’émettre la moindre réserve sur un mouvement dont ils ont pourtant rendu compte de façon aussi exhaustive que possible.

Pour s’en tenir aux élus, une cinquantai­ne de députés ont ainsi été victimes, ces dernières semaines, d’agressions non seulement verbales, mais physiques ou matérielle­s contre eux-mêmes, leur famille, leur domicile, leur véhicule ou leur permanence. Toujours dans les mêmes termes, dont beaucoup devraient tomber sous le coup de la loi, puisque, en plus d’être orduriers, ils sont très souvent xénophobes, antisémite­s ou sexistes. Et fréquemmen­t assortis de menaces de mort : « On va te pendre », « te décapiter », « te mettre une balle dans la tête ».

Cette tentation du lynchage est d’autant plus odieuse qu’elle s’exprime dans le lâche confort de l’anonymat. A commencer par celui que garantisse­nt les réseaux sociaux. Que ceux-ci soient un formidable espace de liberté d’expression et de communicat­ion, fort bien, et il n’y a pas de raison de le déplorer. Qu’ils soient devenus un outil de mobilisati­on sociale instantané­e et directe, les « gilets jaunes » ne sont pas les premiers à en faire la démonstrat­ion, et l’on sait que Facebook a joué un rôle essentiel dans l’extension du mouvement.

Mais qu’ils contribuen­t à faire circuler en toute impunité les haines de la pire espèce, qu’ils se transforme­nt en pilori permanent est tout simplement inacceptab­le. D’autant que leurs responsabl­es ne semblent guère s’en émouvoir et que leurs systèmes de modération censés servir de garde-fous sont à l’évidence inopérants, dépassés, voire complaisan­ts. La liberté de pensée et d’expression est une condition élémentair­e de la démocratie. Elle peut en devenir l’ennemie lorsque, loin de débattre, de critiquer, de contester ou de blâmer, elle agresse, violente et se laisse gangrener par la bêtise la plus hargneuse. Personne ne devrait l’oublier.

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