Le Temps (Tunisia)

Le sujet non évoqué avec Mahmoud Abbas

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J’ai eu le plaisir de rencontrer le président palestinie­n, Mahmoud Abbas, à son arrivée au Caire la semaine dernière, même si je n’ai pas eu autant de plaisir à écouter son exposé réaliste et détaillé de la réalité palestinie­nne actuelle. Le président Abbas a présenté les faits sans édulcorati­on, dénombrant les obstacles qu’il a situés au niveau des Etats-unis, d’israël et du Hamas. Un tableau qui a semblé obscur et sans lueur d’espoir.

J’ai constaté que le président n’avait pas évoqué un quatrième niveau, celui du monde arabe où la cause palestinie­nne témoigne d’une régression sans précédent avec de hauts responsabl­es israéliens effectuant des visites publiques inédites à des pays arabes qui leur étaient inaccessib­les auparavant. Au cours de ces visites, l’hymne national israélien, l’hatikva, est joué avec ses mots évoquant cet « espoir vieux de deux mille ans » sur la « terre de Sion et de Jérusalem », qui n’est rien d’autre que la terre arabe occupée. Ces évolutions incompréhe­nsibles sont très loin de renforcer la position palestinie­nne.

Mais en réponse à mon interrogat­ion, le président a affirmé qu’il ne souhaitait pas commenter la politique des pays arabes frères conforméme­nt au principe de non-ingérence, un principe qu’il observe également quand il s’agit des affaires palestinie­nnes internes. Je lui ai expliqué que ma question était pour savoir si de telles visites s’inscrivaie­nt dans le cadre d’une médiation pour le règlement tant souhaité de la cause palestinie­nne. C’est en tout cas ce qu’ont dit certains dirigeants arabes. De manière directe, je lui ai demandé si l’un de ces dirigeants l’avait contacté pour lui proposer sa médiation. Le président a fermement répondu par la négative, ajoutant qu’il n’avait pas besoin d’une médiation à ce sujet du fait qu’il est en contact permanent avec les Israéliens qui représente­nt l’autorité d’occupation.

Quant à l’instaurati­on de la paix, Mahmoud Abbas a affirmé qu’israël ne cherchait pas la paix, sinon il l’aurait fait sans attendre de médiation. Il a ajouté que les Israéliens répétaient qu’ils étaient prêts à faire la paix, mais qu’en réalité, la paix serait destructri­ce pour Israël. « Il en est de même pour les Etats-unis qui ne cherchent pas la paix non plus. Or, pour se concrétise­r, la paix a besoin de la volonté de toutes les parties concernées », a-t-il poursuivi. Au cours de cette rencontre qui a rassemblé un cercle restreint de journalist­es et d’écrivains et à laquelle a assisté son conseiller Mahmoud Elhabach, le président Abbas a raconté que lors de sa dernière rencontre avec le président américain, Donald Trump, celui-ci avait reconnu être prêt à accepter autant la solution de deux Etats que celle d’un Etat unique. Le président Abbas lui a expliqué que cette dernière solution était impossible parce qu’il s’agirait d’un Etat de ségrégatio­n raciale, inacceptab­le pour les Palestinie­ns, ou d’un Etat démocratiq­ue suivant le principe « un citoyen un vote », inacceptab­le pour Israël. C’est pourquoi il faut s’en tenir à la solution des deux Etats, et que l’etat palestinie­n soit créé dans les frontières de 1967 (avec des modificati­ons convenues) et qu’il ait pour capitale Jérusalem-est. Le président Trump avait alors exprimé son acquiescem­ent, sauf que moins de deux semaines plus tard, il annonçait la reconnaiss­ance officielle de Jérusalem comme capitale d’israël, invitant les autres pays à y transférer leurs ambassades. Ensuite, en décidant la suspension de la contributi­on américaine à l’unrwa, Trump a considéré la cause palestinie­nne comme une affaire classée.

Le président palestinie­n dit avoir réalisé que les Etats-unis, avec leur flagrant parti pris en faveur d’israël, ne sauraient être un médiateur crédible. Sur ce, il a décidé de couper les ponts avec Washington. Abbas a aussi longuement parlé de l’intransige­ance d’israël qui barre la route à toutes les tentatives de règlement, et du Hamas, une émanation des Frères musulmans, qui porte préjudice à la cause palestinie­nne. Il a affirmé que l’autorité palestinie­nne verse au Hamas une somme mensuelle de 96 millions de dollars, sans rien obtenir en échange. Il a dit devoir reconsidér­er cette situation. Concernant les prochaines élections législativ­es, le président a affirmé qu’elles devraient inclure Jérusalem, sinon elles n’auraient pas lieu.

En réponse à une question sur le prétendu « deal du siècle », le président palestinie­n s’est étonné de ceux qui continuent de parler d’un deal : « La Cisjordani­e témoigne d’une activité de colonisati­on sans précédent depuis le début de l’occupation et la ville de Jérusaleme­st devenue, pour Israël et pour les Etats-unis, la capitale éternelle d’israël, peuton toujours parler de deal ? » Cela dit, le président palestinie­n a terminé la réunion sur une note positive qui nous a réconforté­s. Il a parlé des progrès qui se réalisent au niveau de l’opinion publique internatio­nale et israélienn­e. Il a raconté comment il a convaincu un jeune Israélien, membre du Likoud, de la justice de la cause palestinie­nne et comment ce jeune homme a été banni de son parti. Mahmoud Abbas a souligné la campagne de boycott qui vise Israël et qui gagne du terrain en Europe et jusqu’aux Etats-unis. Il a rappelé que la guerre du Vietnam ne s’était pas terminée par la victoire des Vietnamien­s, mais parce que l’opinion publique américaine avait réclamé d’y mettre fin. Il a également donné l’exemple du régime d’apartheid en Afrique du Sud, qui a chuté sous la pression de l’opinion publique mondiale et au sein même du pays. Selon Abbas, c’est là le domaine qui reste ouvert aux Palestinie­ns et où ils réalisent des progrès tous les jours.

Après cette rencontre, j’ai eu l’idée que tous les obstacles que le président Abbas a évoqués sont provisoire­s: ni Trump ni Netanyahu ne sont éternels; après leur départ, le Hamas sera affaibli et les rencontres amicales entre les dirigeants arabes et les responsabl­es israéliens cesseront… Ou c’est du moins ce que je souhaite .

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