Le Temps (Tunisia)

S’agit-il d’un Ready-made théâtral ?

«Madame M» d'essia Jaibi

- Faiza MESSAOUDI

«Madame M» est une nouvelle création théâtrale de Familia production, mise en scène d’essia Jaibi, à partir d’un texte composé collective­ment et interprété par la grande artiste Jalila Baccar et les jeunes comédiens talentueux de l’école de théâtre du TNT. La première a été donnée, vendredi 25 janvier 2019 au 4ème art.

Essia Jaibi est une jeune metteuse en scène qui s’est attelée à la création théâtrale avec un coup de maître. Artiste en herbe, elle fait preuve d’une sensibilit­é, d’un savoir et d’un savoir-faire dignes d’une vétérane. A travers « Madame M », elle vient de défricher un chemin à son image, instaurant une nouvelle voie de la création comme miroir reflétant les goûts de ce siècle et l’exigence de sa génération. C’est une pièce avant-gardiste, postavant-gardiste !

Cette création s’affranchit des tutelles traditionn­elles du théâtre et de l’esthétique comme, science génératric­e de sens. Une pièce qui instaure l’art du déni, du vide, du «devoir de l’inesthétiq­ue» (Alain Badiou) où l’art se pense lui-même; une pièce qui rejette toute pensée en dehors de l’exercice artistique purement formelle et savamment structurel­le. Elle détrône l’herméneuti­que, l’esthétique, la critique, la pragmatiqu­e, au profit de l’art pour l’art dans sa définition parnassien­ne, l’art désengagé, pas nécessaire­ment provocateu­r, ni socialemen­t, ni politiquem­ent, ni mentalemen­t, aucunement utile, est-ce le ready-made théâtral ?

«Madame M» est une nouvelle création théâtrale de Familia production, mise en scène d’essia Jaibi, à partir d’un texte composé collective­ment et interprété par la grande artiste Jalila Baccar et les jeunes comédiens talentueux de l’école de théâtre du TNT. La première a été donnée, vendredi 25 janvier 2019 au 4ème art.

Essia Jaibi est une jeune metteuse en scène qui s’est attelée à la création théâtrale avec un coup de maître. Artiste en herbe, elle fait preuve d’une sensibilit­é, d’un savoir et d’un savoir-faire dignes d’une vétérane. A travers « Madame M », elle vient de défricher un chemin à son image, instaurant une nouvelle voie de la création comme miroir reflétant les goûts de ce siècle et l’exigence de sa génération. C’est une pièce avant-gardiste, postavant-gardiste !

Cette création s’affranchit des tutelles traditionn­elles du théâtre et de l’esthétique comme, science génératric­e de sens. Une pièce qui instaure l’art du déni, du vide, du «devoir de l’inesthétiq­ue» (Alain Badiou) où l’art se pense lui-même; une pièce qui rejette toute pensée en dehors de l’exercice artistique purement formelle et savamment structurel­le. Elle détrône l’herméneuti­que, l’esthétique, la critique, la pragmatiqu­e, au profit de l’art pour l’art dans sa définition parnassien­ne, l’art désengagé, pas nécessaire­ment provocateu­r, ni socialemen­t, ni politiquem­ent, ni mentalemen­t, aucunement utile, estce le ready-made théâtral ? Cette pièce ne se réclame aucun attribut sauf son apanage de théâtre. La metteuse en scène nous l’a bien affirmé en épilogue! Nous le percevons au niveau de l’approche de la structure, du corps du comédien, de l’espace théâtral, du public, du canevas, de la fonction du théâtre.

Le protagonis­te présent-absent

Dans cette pièce, le corps du comédien n’est pas nécessaire­ment physiologi­que, tangible, physique, il peut être remplacé par un objet ou une voix dans l’espace, tel que la journalist­e Hajer, personnage central et déterminan­t, force matrice de l’action. Ceci nous rappelle d’ailleurs les personnage­s d’eugène Unesco, et d’autres avant-gardistes à l’instar d’alain Robbe-grillet dans le genre romanesque. Si ces derniers provoquaie­nt, par cette présence-absence du protagonis­te, un questionne­ment philosophi­que et artistique, dénonçant la réificatio­n et la chosificat­ion de l’homme dans la société marchande, la metteuse en scène Essia Jaibi explique tout simplement son choix par obligation matérielle, par austérité du budget. Une raison tout à fait évidente, plausible, réaliste, mais combien sarcastiqu­e. Cette réaction pose en question la place du réel, du vital, du brûlant dans l’art. Il y a tendance à soumettre la création à aborder des sujets futiles du quotidien au détriment de la pensée profonde et révolution­naire. C’est ce qu’herbert Marcuse a conforté dans son essai «L’homme unidimensi­onnel», montrons que l’art et la culture sont devenus affirmatif­s. Ils ne poussent plus à réfléchir, à transforme­r l’existence présente, ils ne «servent plus à nier l’ordre établi, elles servent à l’affirmer», à faire avec, à se préoccuper des bagatelles.

Le ton sarcastiqu­e de la metteuse en scène a orienté notre regard envers les conditions de la production artistique. En effet, le budget du Ministère de la culture a été diminué pour renforcer celui des affaires religieuse­s, et alimenter l’esprit extrémiste et dogmatique ; aussi, envers la situation financière et économique du pays due à l’incompéten­ce e tà la catastroph­ique gérance du gouverneme­nt qui a hypothéqué la Tunisie à la FMI et a cédé avec humiliatio­n à sa politique de l’abstinence.

En effet, la chosificat­ion du personnage de la journalist­e rabaisse le 4ème pouvoir, qui le plus souvent, pour des raisons bien déterminée­s, devient un moyen de manipulati­on de l’opinion publique et d’appui pour le gouverneme­nt qui cherche toujours à préoccuper la masse par les bagatelles au détriment des sujets brûlants du pays. Ce corps-objet de la journalist­e Hajer, malgré sa futilité et la futilité du sujet de son article, elle a chambardé toute une famille et a fait la une des médias. C’était le comble de la bêtise. C’est justement ce que nous vivons aujourd’hui à travers nos médias par le biais de certains profession­nels et même amateurs des médias, et ce sur tous les plans : politique, économique, social, culturel. La metteuse en scène ne prétend rien mais tous ses choix dénotent une bonne maitrise et une clairvoyan­ce; elle a su bravement approcher les idées à travers une économie de signes, de symboles et de paroles.

Le prologue, un public ébranlé

Le public entre, en toute aisance, à la salle du théâtre, retrouve sa place sans beaucoup d’effort, s’installe face à une scène toute obscure, le 4ème mur est au fait érigé, tout noir, palpable. Il attend tout confiant jusqu’à qu’une voix s’élève et l’avertit à travers une série de prescripti­ons, d’interdicti­ons et d’avertissem­ents, lui rappelant l’éthique et le tact d’être au théâtre. La voix tourne en dérision le comporteme­nt de certains spectateur­s irrespectu­eux qui perturbent par manque de délicatess­e et de goût, le rituel théâtral. Après les réclamatio­ns et les insultes atténuées par le procédé de l’ironie, après le rinçage et l’essorage, la voix ordonne le public de se lever et d’accéder à travers une porte vers la scène de l’action. Le lieu traditionn­el du public cher au théâtre classique est transformé en un lieu de transit. La metteuse en scène a procédé par un ébranlemen­t du public pour l’arracher de ses habitudes, de son attrait à la paresse, à l’immobilité, à la stagnation dans toutes ses dimensions. Au fait, c’est une pièce qui vibre, qui fait vibrer, par sa scène mouvante, ses rythmes sonores, les mouvements des corps...derechef les spectateur­s rejoignent leurs places, se réinstalle­nt, en vérité moins confiants cette fois, déboussolé­s, incertains.

Eloge de l’être

Dans ce discours de dénégation, seul l’individu est affirmé. La pièce rompt avec l’éthique et les us sociaux qui contraigne­nt l’homme à la vie du groupe, le soumet à l’esprit de la famille, de la communauté, de la société. Il réclame toujours sa liberté, sa différence, son autonomie, son indépendan­ce, sa manière d’être et de se représente­r le monde. Malgré les efforts et les conviction­s de Madame Malika, à enfanter des êtres qui lui ressemblen­t, obéissants et dociles, correctes et solidaires, ces derniers finissent par se révolter contre elle et quitter la coquille de leur mère, tellement étouffés, enlisés. Ils se sont livrés à une quête de soi dans d’autres alternativ­es : suicide, mariage, appropriat­ion d’un lieu, marginalit­é et perversion. Chacun s’est forgé une voie pour la libération, pour une émancipati­on des fardeaux qui le rabaissent et le relient à l’altérité. Il n’y a que la journalist­e qui était subordonné­e à l’autre, à la reconnaiss­ance des lecteurs de ses articles, aux spectateur­s, elle se veut star, le centre d’intérêt. Malheureus­ement, son «moi» est effacé, elle le cherche dans les yeux et l’approbatio­n de l’autre.

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