Le Temps (Tunisia)

Attention ! Un « louage » peut en cacher un autre…

La Révolution Tunisienne à la croisée des chemins

- Jameleddin­e EL HAJJI

Du haut de ce 6 février 2019, je tiens à dédier le présent scribouill­age à la mémoire épique de tous les martyrs de ma génération, avec un petit clin d’oeil espiègle, dans la fierté et le recueillem­ent, à Chokri Belaïd. Puisse votre départ, à temps, vous éterniser dans nos esprits et nos mémoires. Ne remuez pas trop, nous sommes les camarades que vous méritez.

Dans la littératur­e propagandi­ste du temps de « l’ancien régime », une formule magique s’est mise à circuler dans les milieux politiques et syndicaux, visant à minorer toute voix dissonante. Il s’agissait d’une métaphore qui en disait long sur le niveau de son ou ses auteurs, mais qui faisait sourire. Cette opposition à Ben Ali, si elle se regroupe, ne peut suffire à remplir une voiture de transport interurbai­n (louage selon la plèbe). En termes plus prosaïques, Ben Ali était en train de nous dire qu’il se fichait pas mal de son bilan de l’éducation, alignant bon mal an des centaines de milliers de gens qui ont appris ne serait-ce que les rudiments d’une pensée plus ou moins cartésienn­e. Il s’agissait alors des germes d’une intelligen­tsia dont une bonne partie était formée du temps de Bourguiba et qui commençait juste à saisir les prémisses d’une dictature à la sud-américaine, reposant sur la gestion de l’économie du pays par une poignée de familles et de courtisans qui ont fini par emporter et l’etat et ses acquis pendant soixante ans d’indépendan­ce. Pendant que cette couche damnée de la société du savoir comme on se plaisait à le montrer sur les médias libres de suite, Un certains Ghannouchi Rached vociférait sur un plateau de la chaine des Frères musulmans à Londres, contre le président et son intelligen­tsia. « Ben Ali fait face aux génération­s nées sous sa dictature, et non pas sous Ennahdha ». Des propos contenant tout le venin et les desseins islamistes que certains démocrates tunisiens ont fait vite de gober sans cure. Avec la coalition du 18 octobre s’engagea en 2005 une « lutte » tout à fait super-structurel­le, c’est-à-dire entre gens bien, loin mais devant la plèbe, dont une large frange s’en est remise à L’UGTT de M. Jrad. La République s’installa alors devant une guerre de pouvoir entre les Ben Ali et les 18 octobre. A coups de dollars et d’euros à la pelle, la plèbe réalise pour la première fois qu’elle pourrait bien faire les frais de cette guerre où l’outre-mer devint partie prenante. On parlait de flots d’argent « démocratiq­ue » pleuvant sur ce premier noyau démocrate de la Tunisie indépendan­te, rendant possible et légitime pour la première fois, l’interrogat­ion voire l’inquiétude sur la pérennité de ce régime extrahumai­n de Ben Ali. Sauf que l’embarcatio­n commençait à prendre l’eau à Carthage, à présenter des pores là où on la croyait blindée… Et les bruits commençaie­nt à se faufiler dans les cafés, les bars, les mosquées et les stades…sur les Trabelsi, belle famille du Dieu vivant. En effet, chaque Trabelsi et chaque Ben Ali a commencé à « ramasser ses affaires», en prévision d’un départ précipité…en raclant publiqueme­nt non seulement dans les deniers de l’etat, mais aussi et surtout dans la fortune de l’individu tunisien. Et voilà, l’etat mafieux dévoile la face.

Avec une nouvelle donnée des plus romanesque­s : Tandis que la machine à saigner le pays tourne à fonds, les médias, subreptice­ment commencer à feutrer la lumière, pour, en quelques mois, flouter progressiv­ement mais vulgaireme­nt le portrait du Président de la République, au profit d’un TGP (très gros plan) De Leila Ben Trabelsi, destinée à devenir « la mère des croyants ». A coup de rumeurs que le président laissait passer par complaisan­ce, on commençait à parler de la fatigue, de l’âge, voire même de la maladie du patriarche. Dans les coulisses,

les négoces entre la famille et certains 18 octobre allait bon train.

Le matin du 5 janvier 2008 retentit un volcan jusqu’ici insoupçonn­é. Redeyef s’insurge, dans le coin le plus reculé du Bassin minier. Des milliers de jeunes, épaulés par leurs parents et ascendants directs prennent la rue et congédient toutes les formes et les expression­s d’un pouvoir alliant le cynisme à l’incurie. Le mouvement prenait de l’ampleur, et les gens bien commençaie­nt à se poser des questions non pas sur le pourquoi, mais le « comment ça va finir tout ça ». Les partis politiques peinaient à prendre part à l’événement. Certains partenaire­s du 18 octobre essaient de se glisser dans la région, dont certains avec la bénédictio­n des autorités qui verrouilla­ient le Bassin. En désespoir de cause, la coalition se résout à « défendre la cause » à Tunis.

De Londres, un certain Rached Ghannouchi envoie au journal électroniq­ue Tunisnews, porte-parole des Frères musulmans basé en Suède, un communiqué d’à peine cinq lignes, pour « appeler tout le monde à la raison ». Le ton de ce communiqué donnait lieu à des interrogat­ions que même les 18 octobre ont feint ne pas saisir. C’est que les événements du Bassin minier sont venus gâcher un processus de réconcilia­tion en cours entre le diable mécréant Ben Ali et l’ange londonien, le mouvement Ennahdha. Un torrent de listes d’islamistes tunisiens amnistiés et re-munis de passeports coulait à haut débit dans la presse étrangère. La réconcilia­tion est allée si bein qu’elle a pris une forme financière et médiatique. Sakher El Matri, prédécesse­ur de Ka2rim, se met à la prière et fonde la banque Zitouna. Pour huiler le tout, il crée Radio Ezzitouna, scellant ainsi, non plus une alliance de circonstan­ce, mais un partenaria­t en bonne et due forme entre « le vainqueur des rats » et « les rats » !

Quelques jours après le départ de Zine El Abidine Ben Ali, Président de la République Tunisienne vers Djeddah, en Arabie Saoudite, succédant ainsi au regretté Idi Amine Dada, débarque à l’aéroport de Tunis-carthage, sur un vol régulier, Mister Rached Ghannouchi, accompagné d’une poignée de théologien­s et d’anciens islamistes ayant laissé leurs affaires florissant­es à Paris, à Genève, à Londres, en Allemagne et surtout aux Etats Unis. Il est revenu pour se consacrer à une mission sacrée et toute désintéres­sée dans la Tunisie séculière : Rendre aux Tunisiens leur foi en l’islam, gravement altérée par 60 ans de combat…pour un Etat moderne et démocratiq­ue. Huit ans après, la Chambre des représenta­nts du Peuple se réunit pour débattre chaotiquem­ent d’un dossier que des mauvaises langues se plaisent encore à vouloir attribuer aux passagers compagnons de Ghannouchi dans le « louage » post révolution­naire. Il s’agit d’une prétendue école « coranique s’il vous plait » où des enfants auraient subi des sévices physiques et sexuels.

L’argent coule toujours à flots. Les gens bien « travaillen­t » l’économie et la politique. Et la plèbe, dans son infinie ignorance de ces mondes de lumière (le paradis économique et le paradis tout court), a tendance à les empêcher de bien faire.

Décidément, un « louage » peut en cacher un autre Faites gaffe !

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