Le Temps (Tunisia)

Avec les mots frais et vrais du poème!

- Badreddine BEN HENDA

C’est peut-être plus rassurant de venir à la poésie après la soixantain­e. Plus revigorant, aussi. Ecrire des poèmes c’est s’offrir une nouvelle jeunesse, car la poésie est fraîcheur ou ne l’est pas. C’est à travers les vers qu’on redécouvre le monde, qu’on se redécouvre soi-même ! C’est à travers les vers que l’on se ressource pour revivre à rebours le long voyage d’une existence. C’est à travers les vers que Hechmi Khalladi regarde les autres et se regarde, maintenant qu’il a le temps de regarder.

Avant les vers et la poésie, il ne faisait que voir ! Avec les vers, la vie et les hommes s’éclairent d’un jour autre, plus doux et plus profond. On les sent plus proches, on les sonde sans difficulté, sans crainte de se leurrer sur leurs vérités intérieure­s, désormais plus accessible­s, plus sensibles, plus visibles à travers les vers. La poésie habille les yeux d’une nouvelle élégance, d’un charme inédit, mais elle aiguise le regard que chacun porte sur lui et sur ce qui et ceux qui l’entourent. A travers les vers, on surprend les allées secrètes du jardin devant lequel nous ne faisions que passer du temps où l’on ne disposait pas du regard poète et artiste. Il faut regarder les êtres et les choses avec les yeux, avec les vers, avec les verres du poète et de l’artiste !

C’est l’attitude que Hechmi Khalladi a choisi d’adopter depuis maintenant… trois recueils poétiques. Dans « Vers divers » et « Révolution, dites-vous ?», il avait déjà entamé cette nouvelle étape de la vie d’un homme où l’on éprouve le prurit de dire et de se dire, d’écrire et de s’écrire avec les mots frais et vrais du poème. Des mots de tous les jours, dit la chanson, et qui vous font, qui lui font « quelque chose ». C’est toujours en quête de ce « quelque chose » que Khalladi écrit son troisième recueil A travers les vers ; et c’est pour le même « quelque chose » que nous nous laisserons entraîner par la magie de cette écriture simple, sans colorants, sans Organisme Génétiquem­ent Modifié, sans pesanteur stylistiqu­e. Une écriture « allégée » de tous les éléments cholestéro­gènes qui obstruent le chemin vers le lecteur de tous les jours, celui-là qui aime lire et entendre les mots de tous les jours quand ils sont à l’image de notre vie de tous les jours : c’est-à-dire bénins et malins à la fois, tendres et durs en même temps, doux et amers, joyeux et tristes simultaném­ent.

Qu’il nous parle de la vie, de l’amour, du temps qui fuit ou de la société qui gémit, Hechmi Khalladi est dans cette quête permanente d’une sérénité perdue, d’un bonheur perdu : ce peut être l’univers de l’enfance innocente, celui de la famille réconforta­nte, d’une bienaimée fuyante, comme est fuyante la vérité sur tout ! Car à travers les vers, il n’est possible que de suivre du regard les échappées belles de la vérité du monde. Tout le plaisir est là ! Détenir une part de vérité, la plus infime soit-elle, c’est altérer la beauté, la richesse et l’insaisissa­ble complexité du spectacle. Car la poésie n’offre pas de réponses, mais crée et recrée des spectacles ! Et c’est au plus lucide des lecteurs, au plus perspicace et au plus fin d’entre eux, de savourer, à travers les vers et par les vers, la secrète douceur de ce spectacle ; sinon de s’émouvoir et de s’attendrir à la vue des drames souterrain­s que nous cache chaque spectacle.

«A travers les vers» ouvre ainsi une fenêtre sur soi et sur l’autre ; sur l’autre en soi aussi. Connais-toi, toi-même, et connais autrui A travers les vers, semble nous dire le poète. Le troisième recueil de Khalladi porte bien son titre qui décline à deux reprises la syllabe [ver] renvoyant presque sans détour à la poésie comme « tension vers », comme « voyage vers », comme « regard vers » les horizons les plus larges ; mais en même temps comme fragile rempart contre les « revers » possibles et les « travers » prévisible­s d’une humanité jamais tout à fait assagie, jamais tout à fait repentie.

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