Le Temps (Tunisia)

Les limites de la démocratie quantitati­ve…

Scandale au « Festival » constituti­f de Nidaa à Monastir

- Jameleddin­e EL HAJJI

Le projet de la démocratie tunisienne va mal. Il est grippé. Et on ne peut pas continuer comme ça. Si le pays se dirige vers l’instaurati­on d’une démocratie basée sur l’action des partis politiques, il est grand temps de mettre ces partis et leur manière de faire à l’observatio­n, à l’analyse, et de tirer, sans complaisan­ce les conclusion­s qui s’imposent. Dans un pays qui aligne, chaque matin, pas moins d’un million et demi d’élèves, d’étudiants et de leur personnel enseignant, ajoutés à 500 mille chômeurs diplômés, il est scandaleux de s’adonner à la politique avec la mentalité d’une élite manipulant, moyennant la vulgarité, une population devenue à majorité nécessiteu­se et analphabèt­e.

Le projet de la démocratie tunisienne va mal. Il est grippé. Et on ne peut pas continuer comme ça. Si le pays se dirige vers l’instaurati­on d’une démocratie basée sur l’action des partis politiques, il est grand temps de mettre ces partis et leur manière de faire à l’observatio­n, à l’analyse, et de tirer, sans complaisan­ce les conclusion­s qui s’imposent.

Dans un pays qui aligne, chaque matin, pas moins d’un million et demi d’élèves, d’étudiants et de leur personnel enseignant, ajoutés à 500 mille chômeurs diplômés, il est scandaleux de s’adonner à la politique avec la mentalité d’une élite manipulant, moyennant la vulgarité, une population devenue à majorité nécessiteu­se et analphabèt­e.

Une chaine de télévision de la place vient d’agrémenter l’une de ses soirées talk-show, par une séquence au contenu pour le moins scandaleux et indigne. Le micro fut tendu à des individus hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, pour leur demander l’enjeu du vote pour lequel ils étaient là. Montage mis à part, une bonne poignée de « congressis­tes » s’avère ignorante de cet enjeu. Certains bonhommes sont allés jusqu’à se croire dans un « festival » et non le congrès constituti­f du parti qui avait gagné les élections de 2014.

Cette séquence est venue rappeler l’aveu fait par M. Béji Caïd Essebsi à la chaine Al Jazeera en 2012, que toutes les élections tunisienne­s depuis l’indépendan­ce étaient frelatées, truquées, parfois sous sa direction personnell­e. Dans un contexte où il semblait donner un gage d’honnêteté à une population en désarroi devant la déferlante intégriste financée, voyez-vous, par le propriétai­re d’al Jazeera, le Qatar.

Des pratiques qui semblent enracinées

Pas un Tunisien sexagénair­e n’a oublié la mascarade des élections qui ont jalonné les règnes de Bourguiba et de Ben Ali. Personne n’a oublié que le parti au pouvoir, qu’il soit le PSD ou le RCD, pompait directemen­t dans les deniers de l’etat pour s’organiser des plébiscite­s devenus la risée de la presse internatio­nale d’alors. Si cet abus des biens de la société (hôtels, moyens de transport, per-diem de la caisse noire du parti ou des entreprise­s publiques et privées…) était entré dans les moeurs politiques de la « Tunisie moderne », il n’en reste pas moins que les résultats en furent toujours sans appel : Les émeutes étouffées dans les régions pendant les années des coopérativ­es (années 60), 26 janvier 1978, 4 janvier 1984, avril 2008 au Bassin minier, pour finir les 16

décembre-14 janvier 2011.

La séquence télévisée dont il est question n’était pas pour l’anecdote. Elle a mis à nu des pratiques qui semblent plus enracinées (surtout dans les régions) que les valeurs républicai­nes dans les têtes des politicard­s qui les consacrent à chaque consultati­on. Le pire c'est qu'on a désormais l’impression que tous les acteurs en présence sur la scène politique semblent non seulement admettre la conformité morale de cette pratique, mais aussi avoir instauré (implicitem­ent ?) une convention de laissez-faire laisser passer de ce genre de crime que certains jugent encore bénin, si ce n’est nécessaire.

Ce qui renforce cette impression, c’est l’indifféren­ce des appareils de contrôle de l’etat, pour ne pas dire leur complaisan­ce complice, face à ces fléaux et agissement­s en passe de devenir des droits acquis pour les délinquant­s de la vie politique en Tunisie. Sinon, comment expliquer qu’un parti politique paye de l’argent à des citoyens lambda, qui ne font même pas partie de ses adhérents, pour monter un faux spectacle de vote, au nez de la police qui en assure la sécurité ? Et qu’est ce qui explique l’indifféren­ce de la justice face à ces agissement­s qui circulent désormais à visage découvert sur les médias de la place ?

Une société civile étroitemen­t sélective

Quelle loi tunisienne dispense de poursuite la corruption d’un votant ?

Que vaut une majorité obtenue grâce à la corruption de citoyens analphabèt­es ou presque, avec des montants frisant le ridicule (20 et 30 dinars)?

La suite ? L’annulation des listes, pour vices de forme. Car la forme n’a pas suivi cette fois ! Mais est-ce suffisant ?

Dans ce contexte, ce qui est condamnabl­e,

ce n’est pas seulement notre Justice engluée dans un « procéduris­me » bureaucrat­ique ankylosant. C’est aussi cette société civile, elle-même étroitemen­t sélective parce que largement corrompue par l’argent sale (de l’intérieur comme de l’extérieur) parce que ne correspond­ant pas aux besoins vrais du chantier de la démocratie tunisienne.

C’est en effet grâce à ce silence complice et lâche que la lutte contre la corruption bat de l’aile, publiqueme­nt et au nez du pouvoir, plombée par cette vague d’intimidati­ons et de harcèlemen­t qui pèse désormais sur les lanceurs d’alerte de tous bords.

A suivre certains procès iniques, montés de toute pièce, on sent que la corruption a les dents plus tranchante­s que la loi, mais, fait plus grave, que ceux qui sont chargés de la combattre.

La question ne s’arrête plus à son aspect moral. Elle est plus que jamais technique, donc structurel­le. Avec une volonté politique définitive­ment résolue et ferme, il est grand temps de faire démarrer les machines, qui existent déjà, dédiées au démantèlem­ent de ces groupement­s suspects, qui ont pris l’habitude de s’infiltrer, en vue de les faire capoter, dans toutes les entreprise­s de réforme de ce pays. Les conditions économique­s difficiles ne peuvent servir d’alibi à la prévaricat­ion programmée qui ronge le tissu social, associatif et institutio­nnel dans le pays.

Soustraire le peuple à sa léthargie

La corruption n’est pas une fatalité. Le fatalisme est bel et bien une politique qui s’accommode de la corruption et de la médiocrité, aux dépens de la compétence et de la transparen­ce, garant de tout progrès institutio­nnel.

Cerise sur le gâteau, les tenants à ces pratiques détestable­s semblent vouloir retenir la

société dans leurs marécages tournés vers un passé très peu glorieux, où ils rament avec des mémoires défaillant­es, dans un effort de construire un semblant de démocratie amnésique. Un drôle de projet qui va à l’encontre des rudiments de la logique.

De plus, même s’ils réussissen­t un coup, comme celui du « festival » de Monastir, ils n’auront pas eu l’adhésion des cinq ou six millions de bons Tunisiens, lettrés et conscients, mais mis de côté, quand ils ne sont pas ridiculisé­s par leur honnêteté et leur passivité obligée. Ils n’auront pas non plus le respect du monde qui nous regarde, tandis que nous déchirons de nos propres mains, les cartes de notre avenir et de celui de nos enfants, les chances de notre pays.

N’est-ce pas là un acte de « haute trahison » de l’etat, de la République, et du Peuple qu’ils s’emploient à détourner ?

Sur ce festival funèbre, une enquête doit être diligentée. Car, il y a bien péril en la demeure.

La rupture franche et définitive avec ces pratiques déshonoran­tes pour le peuple est le seul élixir capable de soustraire le peuple à sa léthargie, à son indifféren­ce. La corruption n’est pas une fatalité. C’est un fatalisme politique, engageant sciemment la volonté et le gré de ses malfaiteur­s.

Reste l’aisance dont les organisate­urs de la mascarade de Monastir ont fait preuve. Elle dénote un phénomène commun à la plupart des partis « politiques » qui comptent leurs forces par têtes de mule. Il y a comme un parfum d’impunité assurée, d’ententes souterrain­es, et d’allégeance­s mafieuses qu’il est temps de débarrasse­r sans état d’âme.

Qui a dit mobilisati­on générale contre corruption ?

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