Le Temps (Tunisia)

Etrange fascinatio­n pour un roman bouleversa­nt

«BELOVED» DE TONI MORRISON

- Zouhour HARBAOUI

Décédée le 5 août dernier, la romancière américaine Toni Morrison a laissé, à la postérité, des oeuvres de très bonne qualité. Son tout premier roman est «Beloved», qui lui a valu le prix Pulitzer en 1988, qui lui a ouvert la voie vers le prix Nobel de littératur­e en 1993, et lui a permis, de son vivant, de figurer sur la liste des 100 meilleurs livres de tous les temps, en 2002. «Beloved», un roman qui fascine étrangemen­t...

Il existe des romans, qui, par leur sujet, provoquent une étrange fascinatio­n chez le lecteur. Il en est ainsi du livre de la romancière américaine Toni Morrison, «Beloved».

Beloved («Bien aimée») est le nom qu’a inscrit Sethe sur la tombe de sa fille décédée. Sethe est esclave au Bon-abri, une plantation. En 1855, elle décide de s’enfuir pour retrouver la mère de son mari, qui a pu être libre car son fils a acheté sa liberté. Sethe, enceinte, envoie ses trois enfants (deux garçons et une fille en bas âge) chez sa belle-mère. Mais la liberté et la fuite ont un prix. Les fuyards sont poursuivis. Pour sauver ses enfants de l’esclavage, Sethe n’aura de solution que de tuer sa fille en bas âge.

Après avoir été emprisonné­e, Sethe est libérée et rejoint sa belle-mère. Un jour, dix-huit ans plus tard, une jeune fille se présente à la porte. Elle se fait appeler Beloved...

Le roman n’est pas écrit de manière chronologi­que mais par flash-back. L’histoire se construit peu à peu, mêlant passé et présent. Le détonateur est l’apparition de la jeune fille qui se fait appeler Beloved et qui fait remonter les souvenirs de Sethe.

Un personnage intriguant et symbolique

L’intrigue tourne autour de Beloved. Est-ce l’enfant que Sethe a dû tuer pour la sauver ? Est-elle revenue entre les morts ? Est-elle une usurpatric­e ? Ou simplement une hallucinat­ion collective ? En tout cas, le lecteur a envie de savoir qui elle est et d’où elle vient. Beloved est présentée comme un personnage fluide qui empêche de déterminer sa nature mystérieus­e et pousse aux différente­s hypothèses..

Dans l’intrigue du personnage, Toni Morrison va jusqu’à pousser le parallèle entre l’évolution d’un enfant et celui de Beloved, comme si c’était une renaissanc­e en pure et due forme. Beloved est comme un bébé «au cou trop frêle pour le poids de sa tête». D’un autre côté, l’auteure lui donne certaines caractéris­tiques des fantômes. On a l’impression qu’elle est revenue de l’au delà du voile qui sépare les vivants et les morts ainsi que celles d’un être «revenu de l’au delà du voile qui sépare les vivants et les morts». Elle est, pour Sethe, sa fille Denver (dont elle a accouché lors de sa fuite) et son compagnon Paul, comme une apparition fantomatiq­ue.

Toni Morrison a fait du personnage Beloved une sorte de symbole, celui du spectre de toutes les femmes noires qui ont été déportées et exploitées jusqu’à la mort, pour nombre d’entre-elles. Le roman est, également, une mise à l’index de l’esclavage. Certaines descriptio­ns sont presque insoutenab­les. Cependant, la romancière a eu l’intelligen­ce de ne pas plonger le lecteur dans toute l’horreur de l’esclavage d’un seul coup, en instillant, petit à petit, des détails, enrichis par la suite. «Beloved» peut être considéré comme un roman puzzle, dans lequel toutes les pièces se mettent en place au fur et à mesure pour donner une histoire poignante.

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