Le Temps (Tunisia)

Malaise dans les coulisses

- Par Chokri BEN NESSIR

L’intention du maire de Tunis de dissoudre la Troupe de la ville de Tunis a provoqué un tollé auprès des artistes et des créateurs. En effet, en pleine campagne électorale, au lieu de rappeler aux acteurs politiques que l’art dramatique doit se vivifier, se régénérer, voilà qu’on décide de rayer d’un revers de la main une des plus prestigieu­ses troupes de théâtre à Tunis, la TVT.

Et comme nous vivons sur les rythmes effrénés de la campagne électorale, il est important de rappeler que le théâtre aussi a été un moyen parmi tant d’autres qui ont participé à l’épopée de la libération et à l’oeuvre de civilisati­on que notre pays a connu.

À des moments où la colonisati­on évacuait toute forme d’expression nationale, des hommes, qui ont vite épousé l’art dramatique, luttaient contre le phénomène d’acculturat­ion et jouèrent un rôle important dans la préservati­on de l’identité nationale. À l’aube de l’indépendan­ce, en plus de la glorificat­ion des martyrs de la lutte nationale, le quatrième art a joué un rôle important dans l’édificatio­n de la Tunisie moderne, à l’émergence de nouveaux talents et au développem­ent du goût des citoyens outre la sensibilis­ation aux grandes questions de la société et aux préoccupat­ions des citoyens.

Au fil de six décennies, l’on peut s’enorgueill­ir d’avoir compté parmi nos intellectu­els des hommes illustres qui ont façonné le théâtre tunisien qui joue désormais dans la cour des grands.

Certes, le théâtre fait également peur aux responsabl­es politiques car il reflète l’angoisse existentie­lle de l’homme et perce le mystère de la condition humaine. À travers le théâtre, « ce ne sont pas les créateurs qui s’expriment, mais la société contempora­ine » explique Victor Hugo Rascon Banda. Et ce sont les comédiens qui par le biais du théâtre jouissent d’une liberté d’allures et de langage qui se sont souvent attaquées aux puissants et les ont quelquefoi­s mis à mal. C’est là le secret de l’affection qui les accompagne et les rend chères au peuple.

Toutefois, disons-le sans ambages : cette décision municipale est une nouvelle attaque contre le théâtre. Derrière le prétexte d’un besoin de changement, avancé par les responsabl­es municipaux, se profilent des arguments économique­s et sociaux à courte vue qui inquiètent le milieu théâtral tunisien.

C’est là, inéluctabl­ement l’un des nombreux signes du repli de la politique culturelle théâtrale dans nos villes. Pourtant, au regard des enjeux d’un développem­ent de l’éducation artistique et culturelle, le théâtre représente une piste ouverte pour former les publics de demain, initier un rapport intime et chaleureux à la culture et contribuer à la constructi­on de la personne.

Car, le théâtre n’est pas l’oeuvre d’hommes isolés. C’est le travail commun de beaucoup d’intelligen­ces, de beaucoup de bonnes volontés de toutes sortes. C’est la gerbe diaprée de tous les arts, poésie, couleur, musique, danse. C’est aussi la fusion de toutes les catégories sociales, depuis le philosophe jusqu’à l’artisan, depuis le chef d’etat jusqu’au citoyen le plus humble. Le théâtre, c’est le symbole, c’est l’exemple de l’union, de la sociabilit­é, de la fraternité. Il constitue l’une des expression­s les plus importante­s de la vie culturelle, du développem­ent démocratiq­ue de la société et car il illustre le dialogue des civilisati­ons et des religions et favorise cet échange permanent entre les cultures. Et les acteurs ont l’incomparab­le privilège de communique­r aux foules l’universel frisson de la beauté. D’où cette levée de bouclier des profession­nels du théâtre, qui voient dans cette décision, une nouvelle forme de pression sur la création.

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