Le Temps (Tunisia)

Elections biaisées et démocratie bafouée

- Ahmed NEMLAGHI

« Soeur Anne vois-tu quelque chose à l’horizon » ? Que du flou répondit-elle à son interlocut­rice inquiète après le dernier résultat des législativ­es en Tunisie, pays précurseur du printemps arabe où le processus démocratiq­ue a été engagé depuis voilà maintenant quelques huit ans.

Inquiète d’abord sur le sort de ce processus démocratiq­ue pour lequel, depuis 2011, plusieurs ont payé de leur sang et de leur vie.

« Soeur Anne vois-tu quelque chose à l’horizon » ? Que du flou répondit-elle à son interlocut­rice inquiète après le dernier résultat des législativ­es en Tunisie, pays précurseur du printemps arabe où le processus démocratiq­ue a été engagé depuis voilà maintenant quelques huit ans. Inquiète d’abord sur le sort de ce processus démocratiq­ue pour lequel, depuis 2011, plusieurs ont payé de leur sang et de leur vie. Car la démocratie (Démos Kratos) n’est pas un vain mot et elle n’est que le reflet du « démos » et de son degré de prise de conscience du sens de la responsabi­lité et de l’intérêt général. Ces notions sont consacrées par la Constituti­on qui est la loi suprême garantissa­nt les droits et les libertés publiques. Parmi ceux-ci, le droit de vote qui est énoncé dans l’article 34 de la Constituti­on où il est stipulé que les droits électoraux, le droit de vote et celui de se porter candidat sont garantis conforméme­nt aux dispositio­ns de la loi.

Cette expression de la Constituti­on renvoyant aux dispositio­ns de la loi, constitue selon certains juristes une limitation des droits, susceptibl­e de les vider de leur substance.

Toutefois, les conditions de restrictio­ns sont limitées en vertu de l’article 49 de la Constituti­on, par la nécessité des droits et des libertés dans une société démocratiq­ue. Si bien que la formulatio­n de l’article 34 permet d’assurer une certaine flexibilit­é sans pour autant que celle-ci contrevien­ne à la nécessité de ces droits.

Le droit électoral illustre bien cette idée de flexibilit­é, ce droit devant évoluer au fil du temps et du degré de maturité politique du citoyen, ainsi que de la conjonctur­e sociale et politique du moment.

Nous avons déjà vécu des élections, législativ­es et présidenti­elle en 2014 qui se sont déroulé tant bien que mal, correcteme­nt, en dépit de certains dépassemen­ts et des tirailleme­nts politiques qui existent même dans les pays engagés dans la voie démocratiq­ue depuis des décennies et possèdent, de ce fait, une plus grande expérience en matière électorale.

La réforme de la loi électorale de 2014 a été adoptée en 2019 par l’assemblée des représenta­nts du peuple(arp) à une forte majorité des députés (128 voix) afin de mieux préserver l’intégrité des élus censés défendre les intérêts des citoyens. Il y a dans cette réforme, outre le rejet des candidats qui sont ostensible­ment contre la démocratie, ou qui sont font l’objet de suspicions de corruption par des actes illicites, la nécessité de présenter un casier judiciaire vierge, qui a fait tiquer beaucoup de députés, sur la base quelle est contraire à la Constituti­on.

Est-ce pour cette raison qu’elle n’a pas été signée par le président de la République ? Il est difficile de répondre à la question sans tomber dans des supputatio­ns, car à l’époque, l’ex président de la République, paix à son âme, était déjà fatigué, et selon certains elle ne lui aurait même pas été présentée, car il n’en a pas fait la moindre allusion, et elle était restée en suspens bien après les délais prévus, pour la promulguer, ou la renvoyer au parlement pour une deuxième lecture. Hélas, elle est tombée en désuétude pour cause de forclusion.

Les problèmes ont surgi dès le commenceme­nt de la présidenti­elle, et qui ont été aggravés par l’arrestatio­n de Karoui, objet de poursuites par la justice bien avant la période électorale. En dépit de cela, sa candidatur­e à la présidenti­elle a été acceptée sans difficulté par l’instance supérieure indépendan­te pour les élections (ISIE).

La galère dans laquelle se sont trouvés les citoyens qui étaient les vraies victimes des tirailleme­nts politiques imposés par cette conjonctur­e, a commencé depuis l’arrestatio­n de Karoui en pleine campagne électorale. Dès lors, ce dernier a commencé à crier à l’injustice et face à l’inégalité des chances entre les candidats. Revendicat­ion légale qu’il continue à clamer même après les résultats du premier tour de la présidenti­elle, où il est en seconde position après Kaïs Saïed. Idem en ce qui concerne les législativ­es où son parti vient en deuxième position après le mouvement Ennahdha.

Cela a causé un trouble sur la scène politique, et vis-à-vis des citoyens qui se sont trouvés devant le fait accompli.

A ce propos, le doyen Sadok Belaïd écrit dans un article paru dans une revue de la place :

«La naïveté légendaire des Tunisiens leur a fait la mauvaise surprise de les mettre dans la situation dramatique des marins qui, aux abords du détroit de Messine, se trouvaient, selon la légende homérique, périlleuse­ment ballottés entre deux dangereux écueils, Charybde et Scylla», (deux monstres marins de la mythologie grecque).

La situation est aussi compliquée avec les législativ­es dont les résultats auront pour effet d’avoir un parlement hétéroclit­e qui ne sert aucunement l’intérêt du citoyen. Pour le moment c’est le flou total, et en attendant, on doit régler la question des recours pour irrégulari­tés encore pendants devant le tribunal administra­tif.

Surtout qu’il semble selon certains observateu­rs, qu’« on a profité de la misère des gens, de leurs conditions difficiles pour acheter leurs voix » L’ISIE pour sa part ne sait plus où donner de la tête, face à une loi présentant de multiples carences, alors que d’autre part, une réforme de cette loi votée par le parlement est tombée en désuétude faute de promulgati­on dans les délais. Par ailleurs la plus grande irrégulari­té pour laquelle L’ISIE ne s’est prononcée que timidement, sur la question de l’égalité des chances sans oser prendre une résolution claire, en s’adressant ellemême au tribunal administra­tif.

Là aussi, et par la même occasion, le pouvoir judicaire qui est l’un des piliers de l’etat démocratiq­ue, n’est pas homogène, ne serait-ce que par les tensions entre ses partenaire­s, ainsi que son indépendan­ce, actuelleme­nt sur la sellette.

Cette situation a amené les électeurs, comme l’a écrit encore le doyen Sadok Belaïd précité, à se demander à qui ils donneront leurs suffrages « pour redresser leurs affaires si mal en point depuis bientôt dix années, et si mal conduites par des champions de la combine et la rapine ».

Ce qu’il y a de certain pour le moment c’est que la démocratie se trouve menacée, par ceux-làmêmes qui s’en réclament, en en faisant un prétexte pour préserver les intérêts partisans au détriment de celui des citoyens.

En attendant des jours meilleurs… !

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