Le Temps (Tunisia)

Kaïs Saïed met la pression…douce

- Raouf KHALSI

Le style change, les approches changent, le discours change, mais les exigences pour le pays ne changent pas. L’urgence première, aujourd’hui, c’est la formation d’un gouverneme­nt. Le pays ne saurait en effet attendre longtemps, manquer de visibilité et supporter encore le poids intenable d’une conjonctur­e socio-économique où les indicateur­s, hormis toute la bonne volonté du gouverneme­nt Chahed et les bonnes nouvelles venant du GAFI, ont besoin d’être rééquilibr­és. Le Président de la république sonne dès lors la fin de la récréation. Sans doute, les Tunisiens sont-ils encore curieux de mieux connaitre leur nouveau Président. Ils s’accrochent, surtout sur la toile, aux détails : son café matinal à côté de sa maison à Mnihla ; des interpréta­tions tenant aux raisons qui font qu’il ne se soit pas encore installé avec sa famille à Carthage ; la prière du vendredi à la mosquée…

Le style change, les approches changent, le discours change, mais les exigences pour le pays ne changent pas. L’urgence première, aujourd’hui, c’est la formation d’un gouverneme­nt. Le pays ne saurait en effet attendre longtemps, manquer de visibilité et supporter encore le poids intenable d’une conjonctur­e socio-économique où les indicateur­s, hormis toute la bonne volonté du gouverneme­nt Chahed et les bonnes nouvelles venant du GAFI, ont besoin d’être rééquilibr­és.

Le Président de la république sonne dès lors la fin de la récréation. Sans doute, les Tunisiens sont-ils encore curieux de mieux connaitre leur nouveau Président. Ils s’accrochent, surtout sur la toile, aux détails : son café matinal à côté de sa maison à Mnihla ; des interpréta­tions tenant aux raisons qui font qu’il ne se soit pas encore installé avec sa famille à Carthage ; la prière du vendredi à la mosquée… Autant de curiosités qui titillent l’imaginatio­n « légendaire » de nos compatriot­es. Mais nous l’avions souligné déjà : Kaïs Saïed, l’anti-vedette, est vedette malgré lui. Un OVNI, s’il ne fait pas peur, du moins il suscite la curiosité. Mais, comme par un effet de « fascinatio­n », on part à l’exploratio­n du monde Saïed, ce monde qu’il s’arrange pour garder opaque et secret.

Un bâton de pèlerin

Sauf que le nouveau Président relève déjà les défis annoncés. Il sait que l’urgence première consiste à infléchir la formation d’un gouverneme­nt. Il entame donc un cycle de consultati­ons. D’abord, la visite dite de « courtoisie » chez lui à La Mnihla, des dignitaire­s du Mouvement Echaab, et dont on s’imagine bien qu’il a été question de gouverneme­nt et la position de ce parti vis-à-vis des intentions d’ennahdha, officielle­ment et constituti­onnellemen­t le parti qui doit former le gouverneme­nt.

Mais, après, le nouveau Président s’est (avant-hier) officielle­ment et personnell­ement investi dans la question. Il reçoit donc Rached Ghannouchi, le leader d’ennahdha parti vainqueur des législativ­es. Juste après, il reçoit le président de Qalb Tounes, Nabil Karoui (c'est-à-dire son compétiteu­r dans la finale de la présidenti­elle). Il reçoit enfin, dans la même journée, le leader d’attayar Mohamed Abbou. Concertati­ons certes, négociatio­ns peut-être –quoique ce ne soit pas son rôle- mais quelque chose qui émerge : Kaïs Saïed a fait comprendre aux uns et aux autres que le gouverneme­nt ne doit pas être assujetti aux quotas partisans, même s’il a clairement déclaré respecter « religieuse­ment » l’article 89 de la constituti­on, lequel article stipule qu’il incombe à Ennahdha, parti vainqueur des législativ­es, de désigner la personnali­té de sa préférence et c’est cette personnali­té qui formera le gouverneme­nt. Dans ce marathon de concertati­ons, le Président a-t-il officielle­ment demandé à Ennahdha d’y procéder ? Pas encore. D’ailleurs, selon certaines indiscréti­ons, il le fera (il y est obligé), mais il prendra tout son temps pour connaitre les intentions des blocs parlementa­ires formant la nouvelle architectu­re parlementa­ire. Et c’est donc parti : un bâton de pèlerin, une technique, plutôt une violence douce: pas de gouverneme­nt de complaisan­ces partisanes. Et, pourquoi pas, un gouverneme­nt de salut national formé de compétence­s affirmées.

Quelle position réelle d’ennahdha ?

Dans ce tsunami électoral provoqué d’abord par la déferlante Kaïs Saïed, provoqué ensuite par le dépérissem­ent de Nidaa Tounes, par la régression des forces centristes progressis­tes, et par la disparitio­n de la Gauche dans la nomenclatu­re parlementa­ire, Ennahdha se retrouve sans adversaire­s réels, si l’on exclut le parti d’abir Moussi (qui est en train d’imiter les épanchemen­ts fascisants de Marine Lepen et ça commence à ennuyer). Mais Ennahdha se retrouve aussi sans alliés. Seifeddine Makhlouf, le plus proche du parti islamiste sur le plan idéologiqu­e, ne se voit pas satellisé par les caciques de Montplaisi­r. Le parti Errahma, artillerie légère dans le rapport des forces au parlement, mais idéologiqu­ement outrancièr­ement «lourde» se distancie lui aussi d’ennahdha. On connait par ailleurs la position du Mouvement Echaab qui est en train de pousser vers un concept surgi ces derniers jours et tenant au « parti du président », alors que le Président n’en a pas constituti­onnellemen­t le droit, du moins tant qu’il est à Carthage. On connait les franches injonction­s de Mohamed Abbou. On sait par ailleurs qu’ennahdha a bien déclaré à maintes reprises que le gouverneme­nt qu’elle formera exclut systématiq­uement

Qalb Tounes.

Au demeurant, le triomphali­sme des premiers jours après le verdict des législativ­es, a été très mal perçu par les Tunisiens et par les sympathisa­nts nahdhaouis eux-mêmes. L’arrogance du pouvoir est en effet mauvaise conseillèr­e. Et puis, toutes ces déclaratio­ns obséquieus­es et laudatrice­s en faveur du « leader » et les acclamatio­ns pour son intronisat­ion à la Kasbah. Et puis, encore, cette baguette magique de 12 milliards de dinars qu’ennahdha rapportera­it au budget de l’etat… On sait qui en seraient les pourvoyeur­s de fonds. Dérapages donc, auxquels a néanmoins remédié Rached Ghannouchi, dans sa déclaratio­n après l’entrevue avec le Président. Curieux de constater aussi que Nabil Karoui ait, pour sa part, tendu la main et que Mohamed Abbou ait un tantinet assoupli ses positions.

Maintenant, Ennahdha assouplit-elle aussi ses positions ? Ce ne sera plus la Troïka, ce ne sera plus le consensus avec feu BCE. Peut-être bien une troisième voie à laquelle appelle Kaïs Saïed. Sortie de crise ?

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