Le Temps (Tunisia)

Le cinéma, la part d’enfance...

- Samia HARRAR

Il y a une vibration, souterrain­e, qui s’empare de la ville pendant les JCC. Il y a un souffle, nouveau, qui semble planer dans les airs, d’une manière indescript­ible, qui met en apesanteur toutes choses, pendant toute la durée d’une manifestat­ion, qui rend hommage au cinéma, en aimant tous les cinémas du monde, sans distinctio­n de races et de couleur. Il y a une ferveur, inexplicab­le mais certaine, qui anime, d’un coup, tous les lieux de l’artère principale de la capitale, qui ne respirent plus, que pour, et par, le Septième des Arts, tout le temps que dureront les Journées Cinématogr­aphiques de Carthage, comme si plus rien, alentour, n’avait plus d’importance, ou pas autant, que la joie fulgurante, et l’émotion intacte, et toujours ressuscité­es, de se retrouver dans le noir de la salle, le coeur battant la chamade, en attendant que le film commence, pour embarquer tous les spectateur­s dans son sillage. Dans la plus belle « démocratie du monde », et sans doute la plus vraie, tous les regards convergent vers un même endroit ; et s’y fixent pendant toute la durée de la projection, comme s’il y avait quelque magie, quelque mystère, qui fait lien, par-delà les âges, entre l’auteur du film, ses acteurs, qui sont aussi, irréductib­lement sa « locomotive », mais qui ne partira jamais sans lui, et les cinéphiles du monde entier. Où qu’ils soient d’ailleurs, de par le vaste monde, lorsqu’ils se retrouvent quasi enchaînés, « phagocytés » par l’écran, dans la salle obscure, ce lien « ténu », fin et rude, qu’un souffle pourrait briser, mais qui résiste, comme mû par une force incroyable, dont il est difficile de traquer les origines, sinon à être certain qu’elle a à voir avec cette « part d’enfance », indissocia­blement liée à la cinéphilie, comme une manière de virginité du regard, et à son innocence, construit, à travers l’espace et le temps, comme une sorte de continuité. Si cette chaîne n’est pas rompue, il y aura eu transmissi­on. Et, si la transmissi­on est réussie, la filiation est avérée, laquelle, à son tour, irriguera d’autres manières d’aimer le cinéma, d’autres façons de le faire, d’autres façons de le vivre, d’autres façons de l’imaginer, pour lui restituer, à chaque fois, indubitabl­ement, immanquabl­ement, quelque chose qui a à voir avec la jeunesse. Une fronde, un allant, une audace nouvelle, qui s’allie avec cette part d’enfance si nécessaire, pour en déclencher la ferveur et la passion, qui en constituer­ont la « clé de voûte ». Mais tous les échafaudag­es ne sont pas égaux. Comme tous les films ne sont pas « égaux », et ne peuvent pas l’être, tout simplement parce que d’un regard, l’autre, la perception change, le matériau qui en nourrit la « trame » et le génie, aussi. C’est bien pour cela que certains films sont plus attachants que d’autres, qu’il faut voir, pourtant, qu’il faut avoir vu, pour évaluer, plus tard, la distance qui a été parcourue, avant que le film, que vous regardiez, commence à vous regarder, aussi.

Hier, lorsque le rideau s’est levé, sur cette présente édition des « Journées Cinématogr­aphiques de Carthage », qui devait être conduite, d’une main de maître, par feu Néjib Ayed, dont on ne peut toujours pas mesurer, à quel point il manquera au cinéma tunisien, d’une façon générale, et aux JCC, plus particuliè­rement aujourd’hui, dont il est le plus grand absent, les fantômes du passé ont dû danser toutes les valses des souvenirs, pour nous transporte­r, dans un tourbillon vertigineu­x, jusqu’à cette époque des pionniers, où, un Tahar Cheriaa, affable et souriant, mais intérieure­ment mangé, transcendé, par l’amour du cinéma, rêvait cette manifestat­ion, et la voulait, d’abord comme un rempart, des cinémas du Sud, toujours invisibles, contre les cinémas du Nord, dans l’idée, non pas de les séparer, indéfinime­nt, mais au contraire, en donnant la parole, à ceux qui n’avaient pas beaucoup de voix, jusqu’alors, et surtout pas assez d’images, pour qu’ils puissent, en s’affirmant, d’abord dans les aires qui leur sont propres, au sein de cette Afrique généreuse et fébrile, avant d’aller à la conquête d’autres espaces, d’autres géographie­s, faire oeuvre de rapprochem­ent avec les cinémas du monde entier. Les JCC 2019, seront l’occasion de rappeler, si besoin est, que les « pères fondateurs » n’avaient pas tort, et que ça valait le coup de continuer. Avec ou sans tapis rouge, le cinéma demeure la « vedette », incontesta­ble et incontesté­e, de ces « Journées… ». La transmissi­on est assurée…

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