Le Temps (Tunisia)

La centrale syndicale, une citadelle imprenable

- Walid KHEFIFI

Le rôle de contre-pouvoir que joue l’union Générale Tunisienne du Travail depuis sa création en 1946 semble donner du fil à retordre aux vainqueurs des législativ­es, dont les adeptes multiplien­t les attaques contre le plus ancien syndicat dans le monde arabe et en Afrique se multiplien­t. La dernière attaque e en date a visé, samedi dernier, le secrétaire général régional de l’union régionale du travail de Sfax, Abdelhédi Ben Jemaa, qui a reçu une lettre anonyme comportant des menaces de mort.

Quelques jours auparavant, des inconnus ont dégradé une peinture à l’effigie du leader syndicalis­te Farhat Hached à l’entrée de l’école primaire « Farhat Hached », à Korba (gouvernora­t de Nabeul). Le portrait a été barbouillé de peinture.

Sur les réseaux sociaux, les attaques en règle contre l’organisati­on ouvrière sont légion. Certains hommes politiques, dont le dirigeant de la coalition Al-karama Seifeddine Makhlouf et le président du conseil de la Choura d’ennahdha Abdelkrim Harouni, sont par ailleurs allés jusqu’à fustiger la «corruption endémique», qui sévit, selon eux, au sein de la centrale syndicale.

Réagissant à ces attaques en règle contre l’organisati­on, le secrétaire général adjoint de L’UGTT, Sami Tahri, a accusé le mouvement Ennahdha et la coalition dite Al Karama d’orchestrer une campagne de dénigremen­t visant à intimider les syndicalis­tes et à affaiblir l’organisati­on.

«Les diverses attaques visant les syndicalis­tes s’inscrivent dans le cadre d’une campagne menée contre L’UGTT principale­ment par le mouvement Ennahdha et la coalition dite Al Karama», a-t-il déclaré.

Le Bureau exécutif de l›union régionale du travail de Sfax (URT) a, quant à lui, dégainé l’arme des protestati­ons pour défendre la centrale syndicale. Il a en effet décidé, lors d›une réunion d›urgence tenue mardi, d’organiser un grand rassemblem­ent syndical ainsi que des rassemblem­ents sectoriels et locaux à Sfax, dont les formes et les dates seront déterminée­s en coordinati­on avec le Bureau exécutif national.

«L’UGTT se trouve depuis les dernières élections législativ­es dans la ligne de mire de certains partis et coalitions à référentie­l islamiste car elle est l’unique force capable de faire l’équilibre face à Ennahdha et ses dérivés. Elle compte plus de 750 000 adhérents et ses sections maillent tout le pays, quand les partis d’opposition peinent à recruter», souligne un responsabl­e syndical qui a préféré garder l’anonymat. Et d’ajouter : «Le nouveau pouvoir cherche à ternir l’image de bastion des libertés et de vigie de la démocratie dont jouit L’UGTT pour l’affaiblir mais il oublie que notre organisati­on a toujours été une citadelle imprenable».

Bien plus qu’un syndicat

Organisati­on ouvrière atypique, L’UGTT est bien plus qu’un syndicat. Elle a mêlé, depuis sa création, activité syndicale et militantis­me politique. Partenaire du Néo-destour de Habib Bourguiba durant la lutte pour l’indépendan­ce, elle a été associée à la constructi­on des nouvelles institutio­ns du pays. L’organisati­on ouvrière a en effet formé une coalition électorale avec le Néo-destour dans le cadre d’un «Front national» regroupant aussi L’UTICA (patronat) et L’UNA (Union nationale des agriculteu­rs) pour rafler la totalité des sièges à l’assemblée constituan­te chargée d’instituer la première République. Plusieurs personnali­tés issues de L’UGTT sont ainsi devenues ministres. Mais par la suite, les relations de L’UGTT avec le pouvoir ont oscillé entre soumission au parti-etat et rivalités dont le point culminant fut la grève générale du 26 janvier 1978.

Après l’accession de Ben Ali au pouvoir, la direction de L’UGTT s’est progressiv­ement inféodée au pouvoir mais la base a continué à manifester des velléités d’indépendan­ce. C’est ce qui explique que L’UGTT était la seule organisati­on nationale, avec l’ordre national des avocats, à ne pas soutenir la candidatur­e de Ben Ali aux présidenti­elles.

L’UGTT a encore accru son importance au moment des soulèvemen­ts de décembre 2010-janvier 2011. Au début des manifestat­ions contre le chômage et la marginalis­ation à Sidi Bouzid, l’organisati­on avait soutenu timidement le mouvement avant d’appeler, sous la pression de ses cadres radicaux, à des grèves générales qui ont précipité la chute de Ben Ali. Cela a permis à la centrale syndicale de sortir auréolée de sa participat­ion à la révolution.

Durant l’époque de transition, L’UGTT a été de tous les dialogues entre le pouvoir et l’opposition. L’initiative du Dialogue national, en 2013, lui a valu d’être l’un des quatre récipienda­ires du prix Nobel de la paix en 2015, avec l’union Tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisan, l’ordre national des avocats et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme.

En 2012, le mouvement Ennahdha avait déjà essayé, sans succès, de cantonner L’UGTT à un rôle strictemen­t syndical. Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste, a critiqué à maintes reprises le rôle hautement politique du syndicat. Des membres des Ligues de protection de la révolution ont également attaqué le siège de l’organisati­on place Mohamed-ali le 4 décembre 2012, avant qu’ennahdha n’adopte un discours plus apaisé pour limiter les points de friction avec un acteur politique et social incontourn­able.

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