Le Temps (Tunisia)

Contestati­on inédite au Liban Au parfum d’une «révolution» !

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Le bras de fer entre la rue et le pouvoir se prolongeai­t hier au Liban, avec des risques de dérapage accrus par l’attitude menaçante du puissant Hezbollah proiranien qui a écarté à son tour la demande des manifestan­ts d’un départ du régime.

Le principal axe routier reliant la capitale Beyrouth au reste du pays est toujours barré par de grandes bâches bleues sous lesquelles les plus déterminés ont passé la nuit. Un peu à l’écart, la police antiémeute observe la scène en silence.

«Si tu aimes tes enfants et ton pays, tu dois être là et rester», explique une femme d’une cinquantai­ne d’années. «Descendez, venez ici, venez voir comme le peuple souffre !», hurle un jeune au micro d’une télévision, sous les vivats de la foule.

Des barrages moins importants, dont les tentes ont été brûlées vendredi par des militants du Hezbollah arrivés à moto, n’ont en revanche pas été réinstallé­s, ont constaté des journalist­es. Furieux des slogans hostiles à leur leader vénéré Hassan Nasrallah, conspué au même titre que l’ensemble de la classe politique accusée de corruption, des dizaines de membres du Hezbollah se sont aussi rués vendredi sur les manifestan­ts rassemblés au coeur de Beyrouth.

Les heurts ont fait plusieurs blessés légers et obligé la police antiémeute à s’interposer.

Des scènes similaires ont été signalées dans des villes du sud à majorité chiite, notamment à Nabatiyé et Tyr où des cris hostiles à Hassan

Nasrallah sont entendus pour la première fois. Depuis le début du mouvement populaire inédit le 17 octobre, les manifestan­ts y expriment comme partout ailleurs leur colère de vivre dans un pays où l’eau, l’électricit­é et les soins gratuits ne sont pas assurés 30 ans après la fin de la guerre civile.

La classe politique, quasi inchangée depuis cette époque, décide de la destinée d’un Etat en déliquesce­nce classé parmi les plus corrompus de la planète.

Des appels sont apparus sur les réseaux sociaux pour organiser dimanche une chaîne humaine géante qui longerait toute la côte libanaise, de Tripoli à Tyr, sur 170 km. Ce qui impliquera­it la mobilisati­on d’au moins 100.000 personnes selon les estimation­s.

Hassan Nasrallah, dont le mouvement est le seul à n’avoir pas déposé les armes à la fin de la guerre civile, a lancé un appel au calme à ses fidèles, qui ont aussitôt déserté la manifestat­ion de Beyrouth, une preuve de son autorité. La presse locale a surtout interprété son interventi­on comme une mise en garde adressée au mouvement de contestati­on et plus particuliè­rement aux manifestan­ts dans sa zone d’influence.

Hassan Nasrallah, dont le mouvement fait partie de la coalition gouverneme­ntale, a agité la menace du «chaos» et d’un «effondreme­nt économique» en cas de poursuite de ce mouvement inédit qui entraîne la quasi-paralysie du pays avec le blocage de routes et la fermeture des banques, des écoles et des université­s. Hassan Nasrallah a écarté tout chamboulem­ent institutio­nnel, rejetant la principale revendicat­ion de la foule après les fins de non-recevoir opposées par le Premier ministre Saad Hariri et le président Michel Aoun: le départ de l’ensemble de la classe politique.

«Le Hezbollah me paraît extrêmemen­t inquiet. Il envoie un double message appelant la rue à la prudence tout en rappelant de manière claire qu’il reste la partie la plus puissante dans l’équation interne», estime Hilal Khachan, un professeur de sciences politiques interrogé par le journal L’orientle Jour.

Selon la presse, les tractation­s en vue d’un simple remaniemen­t ministérie­l sont au point mort et les supputatio­ns vont bon train sur l’envoi de la troupe pour débloquer les routes par la force.

Seule institutio­n à avoir réchappé au mépris général de la population, l’armée joue désormais un rôle clé. Des soldats avaient tenté de lever les barrages mais ont fini par fraternise­r avec les manifestan­ts qui leur offraient des fleurs. Vendredi soir, malgré les heurts avec les prohezboll­ah, des dizaines de milliers de personnes sont restées dans la rue, criant, chantant et agitant les drapeaux du Liban frappés d’un cèdre vert.

A Tripoli, la grande ville du Nord, à Beyrouth ou dans le Sud, les slogans phares sont restés inchangés depuis dix jours: «Révolution, révolution!», «Tous, cela veut dire tous!», «Le peuple veut la chute du régime»...

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