Chronique d’un certain feeling
Un arbre qu’ils plantent ensemble, une petite tournée à travers certains quartiers-et cette tournée n’a pas manqué de surprises-, mais aussi des missions spéciales. Avec Kaïs Saïed à Carthage, Youssef Chahed s’est en effet re-familiarisé avec le Palais. Des allers-retours cadencés pour s’entretenir avec le Président sur la situation générale du pays. Les poignées de mains sont appuyées, les discussions d’apparences détendues. Le Président charge d’ailleurs le Chef du gouvernement en exercice de se rendre à Alger pour remettre une lettre personnelle au chef de l’etat algérien Abdelkader Ben Salah.
Un arbre qu'ils plantent ensemble, une petite tournée à travers certains quartiers-et cette tournée n'a pas manqué de surprises-, mais aussi des missions spéciales. Avec Kaïs Saïed à Carthage, Youssef Chahed s'est en effet re-familiarisé avec le Palais. Des allers-retours cadencés pour s'entretenir avec le Président sur la situation générale du pays. Les poignées de mains sont appuyées, les discussions d'apparences détendues. Le Président charge d'ailleurs le Chef du gouvernement en exercice de se rendre à Alger pour remettre une lettre personnelle au chef de l'etat algérien Abdelkader Ben Salah. Puis, entre une entrevue et une autre, il le charge de remettre des lettres personnelles à Emmanuel Macron (Paris) et à Sergio Mattarella, le Président italien (Rome). Puis, retour à Paris pour représenter la Tunisie (11-12-13 novembre) au Forum sur la paix auxquels ont participé 30 chefs d'etats (Trump n'y était pas) et nombre d'associations et D'ONG. Que peut-on en déduire ?
D’aucuns attribuent ces missions dont le Président charge le Chef du gouvernement à la «vacation» du portefeuille des affaires étrangères depuis le départ (démission, limogeage ?) de Khémaïes Jhinaoui. Celui-ci, dans tous les cas de figures, ne pouvait pas rester en poste, pas tant parce qu’il était l’un des fidèles lieutenants de BCE, mais parce que certaines suspicions tournent autour de la gestion au sein de son ministère. Un audit y est d’ailleurs enclenché tout autant qu’au sein de la Présidence ellemême.
Convergences, slogans, arguments
C’est peut-être là un premier point de convergences de vues entre les deux hommes. Kaïs Saïed n’a pas fait de campagne classique. Comme le dit l’écrivain Frank Andriat « Un homme politique réduit souvent sa vie et sa vision du monde à quelques phrases simplistes qui lui servent de slogans pour se faire comprendre du plus grand nombre. On n’attire pas la foule avec des arguments, on la séduit avec des arguments ». Or, Kaïs Saïed a bien mis en avant l’argument-massue de la lutte contre la corruption. Trois ans en arrière, Youssef Chahed déclarait ceci au lendemain de l’arrestation de Chafik Jarraya : « Il y a la Tunisie et la corruption. Moi, j’ai choisi la Tunisie ». C’est là qu’il a provoqué une levée de boucliers qui lui a valu le courroux du défunt Président et les louvoiements d’ennahdha. Un point de convergence donc entre les deux hommes, même si, débordé par les enchères politiciennes et rattrapé par une conjoncture socioéconomique difficile, dans cette lutte contre la corruption, précisément, Youssef Chahed avait certes plusieurs cordes à son arc, mais pas de flèches. Ces flèches, Kaïs Saïed les lui en fournit, ne serait-ce que pour un laps de temps court, du fait qu’un nouveau gouvernement s’apprête à prendre place, même si, au vu des enjeux actuels, ce nouveau gouvernement n’est pas pour demain. Deuxième élément et qui a son poids dans l’entente entre les deux hommes. En lançant Tahya Tounes, Youssef Chahed a lancé cette formule : « Ni Mao, ni Al Banna ». Cela converge, selon ceux qui le connaissent le mieux, avec la vision (pas en ces termes et pas forcément selon les mêmes icônes) de Kaïs Saïed qui représente le type même du « musulman laïc » qui se méfie autant du communisme que de l’islamisme, même s’il fait régulièrement ses prières du vendredi à la mosquée. Ceci en ce qui concerne Al Banna. En ce qui concerne Mao, les observateurs et même des gens dans l’entourage du Président, ont noté la disparition des radars de Ridha Makki, alias « Ridha Lénine », qu’on s’attendait à voir à Carthage, dans l’équipe présidentielle, mais qui est un peu trop de gauche alors que Kaïs Saïed, le Kaïs Saïed Président, choisit sans le dire le centre, du moins un certain « centre ». Point de convergence encore, puisque Tahya Tounes s’en proclame et, que, surtout, surtout, Youssef Chahed et son parti ont appelé à élire Kaïs Saïed au deuxième tour.
« Paris vaut bien une messe »
Reste ce ballet diplomatique. Si Kaïs Saïed a choisi Youssef Chahed pour remettre des lettres personnelles aux présidents algérien, français et italien, c’est parce que celuici est encore le Chef du gouvernement en exercice. Certes, à Alger, Youssef Chahed était accompagné d’abderraouf Betbaieb dont on disait qu’il était destiné à être le chef du cabinet présidentiel, mais auquel le Président a choisi Tarek Bettaieb, ancien ambassadeur de la Tunisie en Iran des temps de BCE. De surcroit, Youssef Chahed, même à l’ombre de Béji Caïd Essebsi a tissé de bonnes relations internationales et il s’est constitué comme on le dit un bon carnet d’adresses.
On a bien vu à la télé d’ailleurs, la manière dont Youssef Chahed a été accueilli par Macron sur le perron de l’elysée, puis à Martigny par Edouard Philippe. Youssef Chahed est très bien vu en France. Et, d’ailleurs, le Quai d’orsay n’a pas beaucoup apprécié l’intervention sur les colonnes du journal Le Monde de Patrice Bergamini, ambassadeur de L’UE en Tunisie, intervention dans laquelle il n’a pas eu de mots tendres pour la Tunisie. La France se veut pour ainsi dire « un modérateur », continuant à croire que la démocratie tunisienne a besoin d’être encore soutenue pour qu’elle puisse voler de ses propres ailes. Kaïs Saïed joue donc sur le feeling entre Macron et Chahed. Et il en saisit d’autant plus l’opportunité qu’un certain nationalisme exacerbé, essentiellement conduit par Seifeddine Makhlouf et la fronde à l’endroit de la France sont pour le moins malvenue et le dérangent en premier. Indirectement, Kaïs Saïed s’en lave les mains. Rien ne change dans nos rapports avec la France. Au contraire : ils doivent être intensifiés et le choix de confier cette mission à Youssef Chahed s’inscrit dans cette continuité.
Et, puis, puisque Kaïs Saïed est dans sa logique lorsqu’il charge Chahed de participer au Forum de Paris sur la paix. Parce que les thèmes abordés tiennent aux crises internationales, au terrorisme, à la gestion des espaces communs, à la question climatique : autant de thèmes inhérents à la gouvernance et aux crises qui traversent nos sociétés et plus souvent les dépassent. La Tunisie qui est en guerre contre le terrorisme et qui est dans un espace géographique pour le moins périlleux, devait donc y avoir son mot à dire.
Maintenant, il serait hasardeux de spéculer, de parier sur une future collaboration entre les deux hommes. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’éléments les rapprochent l’un de l’autre. Le feeling y est : ça c’est évident. Les intentions, c’est autre chose.