Le Temps (Tunisia)

«Le fait d’exposer dans le désert était une chance»

Alexis Choplain («Hydroplast­icien»)

- Zouhour HARBAOUI

Alexis Choplain, 29 ans, est artiste plasticien et vit, actuelleme­nt, en France. Lors de l’événement «Hippie Tounsi», dans la région de Douz, il a présenté une installati­on intitulée «Tempête dans un verre d’eau». A la découverte de ce jeune artiste… Le désert m’a vraiment marqué. Le silence, l’immensité et l’absence de ressources me donnent envie de créer quelque chose en rapport.

Alexis Choplain, 29 ans, est artiste plasticien et vit, actuelleme­nt, en France. Lors de l’événement «Hippie Tounsi», dans la région de Douz, il a présenté une installati­on intitulée «Tempête dans un verre d’eau». A la découverte de ce jeune artiste.

Le Temps : Quel est votre passif ?

Alexis CHOPLAIN : J’ai d’abord suivi des études d’architectu­re et d’art à Marseille, puis j’ai passé 1 an au Mexique entre 2013 et 2014 où j’ai appris la lithograph­ie. Ce voyage a été très important car j’y ai découvert une communauté d’artistes qui travaillen­t avec des moyens restreints dans des ateliers parfois mal équipés. J’ai été très sensible à leurs démarches basées avant tout sur le système D. Mon retour en Europe s’est fait en Belgique et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré l’eau comme matériau, qui m’a suivi jusqu’à aujourd’hui. J’ai été diplômé d’un master 2 en arts visuels à l’école ARTS2 de Mons (Belgique). Puis, j’ai débuté ma carrière en participan­t à divers festivals et exposition­s d’arts numériques belges et français. Je suis actuelleme­nt en résidence longue à La Métive où je poursuis mes recherches en «hydroplast­ique».

Parlez-nous de votre installati­on.

«Tempête dans un verre d’eau» est une installati­on que j’ai développée à La Métive au printemps 2019. C’est un projet expériment­al constitué de différents modules qui met en jeu le son, la lumière et l’eau. Pour «Hippie Tounsi», j’ai présenté un extrait qui révèle une chorégraph­ie aquatique sous la forme d’une fontaine, au milieu du désert. C’est un concept que je travaille depuis plusieurs années et qui peut prendre différente­s formes selon l’espace d’exposition. Cette version-ci fonctionne sur un principe d’économie de moyen, car il était évident qu’acheminer du matériel dans le désert n’allait pas être facile : une petite structure, une pompe, quelques mètres de tuyau, un haut parleur et des composants électroniq­ues ont alors suffi à la mettre en place.

Basiquemen­t, un flux d’eau soumis à des vibrations sonores s’écoule verticalem­ent dans une cuve muni d’une pompe. Durant sa chute, ce jet perturbé est éclairé par une lumière stroboscop­ique dont la fréquence avoisine celle du son. Dans l’obscurité, la lumière décompose notre vue et permet, par le biais d’une illusion d’optique de distinguer visuelleme­nt l’onde sonore à travers l’eau. Le spectateur est alors plongé dans un état frôlant l’hypnose, car le flux en mouvement adopte des comporteme­nts intangible­s qui donne l’impression d’une suspension dans l’espace ou même d’inverser son sens d’écoulement, mettant au défi les lois de la gravité. Pourquoi avoir accepté de présenter une installati­on à l’événement «Hippie Tounsi» ?

C’est avant tout lié à la curiosité et à l’expérience. Jusque-là, je n’avais pas eu la chance de faire d’exposition hors Europe, c’est à dire rencontrer des acteurs culturels, entrevoir le fonctionne­ment et la place de l’art hors de ma zone connue. J’ai quitté la Belgique pour la France en partie parce que j’avais eu cet aperçu suffisant, et il était temps d’aller voir ailleurs. Je suis plutôt curieux, alors s’il y a opportunit­é à aller explorer, je suis partant par principe. Le fait d’exposer dans le désert était également une chance, qui n’est sans doute pas donné à tous les artistes. Plus que de participer à une exposition, j’ai perçu cet évènement comme une aventure. La faire dans le Sahara, est-ce symbolique ?

Je ne connaissai­s ni le désert, ni l’organisati­on de la vie sur place. Travaillan­t avec de l’eau, il y a évidemment une dimension symbolique mais aussi dangereuse car c’est la ressource la plus rare : cela aurait pu être mal perçu, et à raison, aux yeux des occupants/gérants du Camp Mars qui m’ont accueilli. Avant même de demander de l’eau, j’ai assez vite senti que cela pourrait poser problème. J’ai vu au bout de quelque jours à quel point il y avait nécessité pour eux de s’adapter à cet environnem­ent, et qu’il était donc hors de question de demander 100 litres. J’ai voulu respecter le fonctionne­ment, sans faire de rides à la surface. Il est peut être là le symbole : parler avec des personnes qui pourraient trouver votre projet inadapté voire absurde et trouver des solutions pour s’adapter au mieux. «Vous me donnez un peu d’eau et en échange je vous montre quelque chose à partir de cette matière que vous n’avez jamais vue». J’ai trouvé cet échange assez beau.

Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?

Je suis adepte de la récupérati­on, du recyclage d’objets désuets, et de la conception de circuits électroniq­ues. Avant d’utiliser quelque chose, j’essaye d’en comprendre le fonctionne­ment et d’atteindre la strate essentiell­e de l’objet. C’est devenu très important, à tel point que je me refuse d’utiliser quelque chose que je ne comprends pas : par exemple, l’ordinateur ou tout appareil numérique est proscrit dans mon travail car trop déconnecté du réel à mon sens. Pourtant, j’ai toujours considéré l’eau et le courant électrique comme évidents. Dans un atelier ou une salle d’expo, il suffit de mettre son seau dans l’évier ou de brancher sa fiche dans le mur. On ne se pose jamais la question de ce qui est mis en jeu quand on les utilise. La ressource est toujours disponible. Dans le désert, j’ai attendu le courant électrique pendant deux jours, sans lequel je ne pouvais pas commencer à travailler. Finalement, rien n’est acquis. On le comprend assez vite là-bas. Et pourtant, tout fini par se produire

Vous est-il venu une autre idée ou d’autres idées d’installati­on lors de votre séjour en Tunisie ? Le désert m’a vraiment marqué. Le silence, l’immensité et l’absence de ressource me donnent envie de créer quelque chose en rapport. Je n’ai cependant aucune idée de la forme ; c’est juste une idée. Je n’ai pas assez exploré la Tunisie pour vous donner d’autres idées claires. Mais, c’est un pays dans lequel j’aimerai beaucoup intervenir. Avez-vous rencontré des artistes tunisiens du domaine ? Si oui lesquels et avez-vous des projets avec eux ?

Durant le festival j’ai rencontré Mohamed Gharbi et Wadi Mhiri avec lesquels j’ai eu de très beaux échanges. Ils ont proposé un super mapping sur les dunes et cela m’a inspiré. Mohamed m’a montré quelques ébauches de «micro mapping» sur de petits objets et nous aimerions faire des essais de projection­s sur des jets d’eau lors d’une prochaine rencontre. Cette idée m’intéresse beaucoup !

Quels sont vos projets en général ?

Mon projet général est d’expériment­er. Je passe le plus clair de mon temps à brancher des câbles, à créer des circulatio­ns d’eau en atelier et à concevoir des circuits électroniq­ues. Les expériment­ations que je poursuis sont en fait très longues et peuvent aboutir à différents projets qui n’ont parfois rien à voir avec l’art. C’est une des qualités que je trouve à l’électroniq­ue car on peut faire à peu près tout. En fait, l’atelier est pour moi un lieu où tout est envisageab­le. Par exemple, je dois dans les semaines à venir concevoir avec une classe du lycée agricole d’ahun un système d’abreuvoir automatiqu­e pour le poulailler de la Métive, et également réactiver la fontaine située dans le jardin, qui fonctionne­ra sur ce principe de chorégraph­ie aquatique. En parallèle, je construis mes propres instrument­s sonores (synthétise­urs) que j’associe entre eux. Ils peuvent servir à faire de la musique, ou à faire fonctionne­r des installati­ons artistique­s. J’aime l’idée que tous les objets que je conçois, qu’ils soient destinés à l’art ou non, peuvent s’associer entre eux. Chaque machine est ouverte et ne se cantonne pas à un champ d’applicatio­n.

«Tempête dans un verre d’eau» est une installati­on que j’ai développée à La Métive (...) Pour «Hippie Tounsi», j’ai présenté un extrait qui révèle une chorégraph­ie aquatique sous la forme d’une fontaine, au milieu du désert.

Durant le festival j’ai rencontré Mohamed Gharbi et Wadi Mhiri (...) Ils ont proposé un super mapping sur les dunes et cela m’a inspiré.

Le désert m’a vraiment marqué. Le silence, l’immensité et l’absence de ressource me donnent envie de créer quelque chose en rapport.

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