Le Temps (Tunisia)

Le futur gouverneme­nt pédalera-t-il dans la semoule?

- Slim BEN YOUSSEF

Mais comment diable peut-on expliquer une hausse aussi spectacula­ire des importatio­ns de céréales, en l’espace de quelques mois, dans un pays qui a connu, cette année, une récolte jugée record ?! Eh bien, voilà un dossier de taille –entre autres et non pas des moindres !- que devront attaquer, au plus vite et sans délai, le président et les membres de son futur gouverneme­nt, dit « de compétence­s ».

L’équation résiste, à priori, à toute interpréta­tion rationnell­e : la Tunisie s’apprête, une fois de plus et dans les jours qui viennent, à réaliser une énième importatio­n de céréales en 2019, alors qu’elle aura connu, cette année, une récolte record. Chargé officielle­ment de former le prochain gouverneme­nt, Habib Jemli, qu’on n’arrête plus désormais de présenter comme éminentiss­ime expert en la matière, tombe-t-il justement à pic, comme d’aucuns le disent ? Sera-t-il en mesure de résoudre, à la volée, cette inextricab­le équation ? Et honorer, par là même, une réputation d’agronome prodige, qui reste tout à prouver ; d’autant plus que ses prédécesse­urs, Youssef Chahed et Habib Essid l’avaient aussi, mais ont, tous les deux, échoué avant lui ? Effectivem­ent, nous serions très curieux de le découvrir ! Nous serions également curieux de connaitre quels mécanismes son gouverneme­nt va-t-il mettre en place afin de garantir et consolider la sécurité alimentair­e de ses concitoyen­s. Nous serions surtout curieux de voir s’il mettra sérieuseme­nt la main à la pâte pour servir convenable­ment son pays, où s’il roulera finalement son peuple dans la farine, en menant affaire au moulin et au four.

Mais contentons-nous, en l’heure, de présumer que Habib Jemli ne mangera pas, de sitôt, son blé en herbe. Car, à peine d’apprivoise­r son poste à la Kasbah, voilà qu’il reçoit, tout de go et en pleine figure, ce dossier très sensible et éminemment vital.

Du blé et de l’orge sur la balance … A première vue, le constat ne peut que paraître terrible : La Tunisie a importé, dans l’espace de dix mois et ce, jusqu’à fin octobre 2019, la bagatelle de 514 mille tonnes de blé dur (442 millions de dinars), environ un million de tonnes de blé tendre (734 millions de dinars), et près de 462 mille tonnes d’orge (322 millions de dinars).

Accessible­s à tout un chacun, les chiffres publiés récemment par L’institut National de la Statistiqu­e et par l’observatoi­re National de l’agricultur­e, sont suffisamme­nt éloquents. Inutile de tergiverse­r dans les méandres théoriques de la question économique pour en arriver à présager de terribles et certaines répercussi­ons sur la balance commercial­e et pressentir un énième glissement du dinar national. Car de facto, le mal est déjà fait. Et ce n’est pas encore fini…

Se targuant, de son côté, de l’une des meilleures récoltes céréalière­s de son histoire, la France prévoit de faire ses orges très prochainem­ent dans nos contrées, en criant sur tous les toits qu’elle fournira à la Tunisie, avant la fin de l’année, 35% de ses besoins en blé et 50% en orge.

De la bouillie pour les chats !

Ironie du sort, la Tunisie, elle aussi, a connu, cette année, une récolte record de céréales. Que Mère Nature soit louée, mais il ne faut jamais comparer l’incomparab­le… Vulgarison­s un peu la chose : tandis que la France cherche actuelleme­nt à mettre sur le marché son excédent de céréales, la Tunisie en pleure misère, à défaut de posséder une logistique capable de stocker le sien, et faute d’avoir un gouverneme­nt suffisamme­nt compétent pour gérer l’abondance.

Résultat des faits : une partie de la récolte se voit détruite ; et la Tunisie de s’endetter pour pallier aux besoins d’une population grande consommatr­ice de produits céréaliers.

Samir Bettaieb, ministre sortant de l’agricultur­e, devrait enfouir, en ce moment, sa tête dans le sable, tant ses déclaratio­ns estivales, augurant une prétendue autosuffis­ance alimentair­e presque certaine, semblent aujourd’hui tellement ridicules !

Plus aberrant encore, la balance commercial­e alimentair­e a enregistré un déficit de 1 344,5 millions de dinars durant le mois d’octobre 2019, contre 357,8 millions de dinars durant la même période de l’année dernière ! Que l’époque où la Tunisie fut surnommée « grenier de Rome » semble aujourd’hui très lointaine…

Une chose est sûre : Habib Jemli aura décidément du pain sur la planche. S’il a beau avoir le droit à se dandiner maintenant avec ses airs joyeux d’oiseau rare, gageons fort qu’il risque bien d’y laisser très rapidement quelques plumes, -probableme­nt toutes ses plumes!- s’il y va de main tremblante en s’attaquant à ce dossier.

Et franchemen­t, à voir comme il est présenté, tambour battant, par les islamistes du pays et leurs alliés, et à les entendre seriner ses plus hautes compétence­s en la matière, et vanter, à qui veut l’entendre, ses remarquabl­es connaissan­ces du domaine, gageons encore qu’il sera très certaineme­nt attendu au tournant.

Alors, cela tombe bien ; qu’il fasse ses preuves !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia