Le revers d’une Constitution hors du temps
Semaine rocambolesque à L’ARP :
La semaine agitée que vient de vivre L’ARP, est venue cristalliser une leçon, ô combien dure, pour les rédacteurs, les interprètes et les « exécutants » de la Constitution de 2014. Pour ses défenseurs surtout, parmi les éminentes pointures du droit constitutionnel de la place. Une Constitution plus floue qu’un contrat de « contrebande » ! Jugez-en par vous-mêmes.
En 2011 la Tunisie fut en proie à un soulèvement de jeunes qui a ébranlé la sécurité d’un régime rongé par la corruption et le népotisme à tous les étages. Un soulèvement « spontané » mais non encadré par l’élite tunisienne, divisée alors entre les thèses les plus diverses. Certains misaient sur des potions réformistes de façade, en attendant le retour du vent, et la reprise de la vie normale d’un régime qui a muselé jusqu’à l’os l’intellectuel tunisien, entre autres, par une propagande à la soviétique, laquelle vouait aux gémonies, non pas les idées en tant que telles, mais les idées qui dérangent les intérêts de la famille régnante et ses alentours. Le monde croyait que ce soulèvement des jeunes avait pour soubassement un rasle bol généralisé à toutes les catégories socioéconomiques et culturelles en présence. C’est par cette faille que l’administration démocrate américaine nous a envoyé les Frères musulmans non pour nous gouverner selon les standards américains, mais pour supplanter le régime déchu, selon quasiment le même canevas mental de celuici. Ainsi débarquèrent une quarantaine de membres exilés du parti Ennahdha, conduits, à partir du Qatar, par le chef de ce parti, Rached Ghannouchi, flanqué de quelques appendices comme le panarabiste Moncef Marzouki. Dès leur arrivée, certains textes régissant la vie dans le bled ont été gelés, dont justement celui fondateur de la République en tant que régime politique moderne.
Les aléas trompeurs de la rue
A la faveur des « élections » de 2011, la confrérie d’ennahdha s’est installée seule ou presque, aux commandes d’un pays qui présentait encore des séquelles de vie, et ce aux plans économique, culturel et social. Forts de cet élan « révolutionnaire » qui avait éclaté, à la racine, en 2008 au bassin minier, quand les islamistes étaient écartelés entre le parti au pouvoir RCD et les organisations qui les encadraient dans leurs pays d’exil, les nouveaux arrivants décidèrent d’en finir avec tout le patrimoine de la République tunisienne indépendante, c’est-à-dire avec la tranche d’histoire de la Tunisie qui va de la lutte de libération nationale jusqu’à la chute de Ben Ali. Arrogance ou témérité, Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et bien d’autres ont laissé leur peau contre leurs discours modérateurs de cette razzia frénétique, et quelque peu pathologique, à laquelle cette nouvelle conquête « islamique » voulait soumettre la Tunisie du 21ème siècle. A la Constituante, ils jouaient seuls, les mains libres, menaçant sur tous les tons, tout propos visant à rationaliser leur avidité primitive de pouvoir.
Et ils nous ont pondu la Constitution, celle-là même qui justifie toujours le renvoi à un lendemain meilleur de la mise en place de la Cour Constitutionnelle, seule référence supposée quant à l’interprétation des fantaisies de ce texte mythique, voué à la conciliation des valeurs contemporaines comme les libertés de l’individu avec la sainte religion comme ils l’entendaient. Le tout dans un système électoral appelé à consacrer l’éternité du pouvoir du cheikh immaculé, par-delà les fissures qu’il peut présenter dans son corps propre ou dans son camp politique. La potion magique était là : Sous couvert d’allergie aux péripéties d’un pouvoir présidentiel corrompu (par le temps), ils ont trouvé la parade qui consiste à concentrer le pouvoir en le déplaçant de Carthage… au Bardo. Entre les deux, un chef de gouvernement acquis aux humeurs de la majorité des députés, grâce à une loi électorale criminelle à plus d’un titre.
Et c’est l’apothéose !
Depuis la Révolution, les Frères musulmans n’ont jamais acquis de majorité absolue au Bardo, c’est-à-dire 51% des sièges leur permettant une tranquillité de conscience nécessaire à la conduite sereine des affaires d’un Etat qui périclite. Carthage disaient-ils, s’occupe de la diplomatie et de la défense, définies selon leurs costumes respectifs et non les standards académiques les plus larges et les plus pointus. Le pain n’est-il pas l’expression suprême de la sécurité ? Il n’en fait pas partie selon la Constitution de 2014. L’infrastructure, idem, la santé, idem, l’enseignement idem. La Défense c’est l’armée, et la sécurité c’est la police ! Une platitude d’esprit et une simplicité de vie frisant celle des bédouins qui nous avaient envahis voici 14 siècles. Un point commun à nos ancêtres et à notre société actuelle : C’est que l’éternité n’existe pas dans l’ici-bas. Ils persistent et signent une Constitution qui les consacre comme majorité écrasante et non absolue, au moment où Ennahdha égrenait ses pertes au cours des échéances électorales successives. Aujourd’hui, un petit remue-ménage agite L’ARP, son Président quitte son perchoir, moyennant quelques modifications de son agenda journalier, pour laisser la gestion des errements de ses propres sujets à Madame la vice-présidente. Entretemps, le chef du gouvernement et le président de la République se la coulent douce l’un à la Kasbah, l’autre à Carthage, tandis qu’au Bardo, le président de L’ARP gère très mal un conflit généré par l’une de ses « sujets » propres. Comble de la malchance, la « victime », le PDL, est plus entrainé et plus aguerri à ce genre de prises de bec et de coups de gueule que ces gens armés d’une « civilisation » de 14 siècles !
Avec ce lot de déclarations et d’actes plus fortuits et plus ados d’une brochette de nos nouveaux députés, avec leur nouveau plumage aussi coloré que les révolutions colorées. Un ancien ministre de l’intérieur de la révolution, celui qui avait condamné à mort les sujets de son actuel président de L’ARP pour terrorisme et meurtres, se répand en termes qu’un étudiant débutant de droit n’ose dire, affirmant que ses collègues députés sous le même hémicycle, sont passibles des plus sévères châtiments, pour avoir observé un sit-in dans l’enceinte sacrée, allant jusqu’à criminaliser la logistique leur permettant de continuer à respirer par ce froid glacial. Il a raison, puisqu’il se considère dépositaire de 90% du pouvoir, en vertu de la Constitution de 2014.
Cette fièvre tranchait curieusement avec le calme de Youssef Chahed, chef du gouvernement sortant, mais surtout avec celui du nouveau Président de la République, qui doit son «modeste» siège à 72% des voix des votants. Comme quoi, en voulant concentrer le pouvoir au Bardo, la cité des Beys est devenue un redoutable guet-apens pour ceux-là mêmes qui nous ont confectionné une Constitution beylicale sous une fallacieuse couverture républicaine.
Révisez vos classiques, et refaites ce qui est à refaire. Sous cet axiome plébéien : Le pouvoir, ça se partage !