Le Temps (Tunisia)

Une main devant, une main derrière ?!

Une crise imminente de la fripe préoccupe le Tunisien :

- Slim BEN YOUSSEF

L’hiver tombant et qui s’annonce rugueux, crises de toutes parts, atmosphère de veillée d’armes, flambée des prix, actualité pesante, jeunesse balancée du haut de la falaise, gouverneme­nt qui peine à sortir de l’oeuf, parlement en pleine ébullition, président qui perd sa langue, pouvoir d’achat qui tombe en ruine, le Tunisien qui s’étouffe dans sa guigne… Et le secteur de la fripe-usines, -grosseries et détaillant­squi décrète la grève ouverte à partir du 20 décembre prochain!

L’hiver tombant et qui s’annonce rugueux, crises de toutes parts, atmosphère de veillée d’armes, flambée des prix, actualité pesante, jeunesse balancée du haut de la falaise, gouverneme­nt qui peine à sortir de l’oeuf, parlement en pleine ébullition, président qui perd sa langue, pouvoir d’achat qui tombe en ruine, le Tunisien qui s’étouffe dans sa guigne… Et le secteur de la fripe-usines, -grosseries et détaillant­s- qui décrète la grève ouverte à partir du 20 décembre prochain !

Très mauvais timing, en effet… Mais surtout une crise de trop, touchant cette fois-ci l’un des droits les plus rudimentai­res du citoyen tunisien, outre son droit à la nourriture, au logement et à un niveau de vie suffisant, à savoir le droit à l’habillemen­t décent, ou disons le droit à une garde-robe appropriée selon les moyens de tout un chacun.

Ceci dit, inutile de tergiverse­r dans les méandres affectifs et émotionnel­s de la question, puisque le sondage d’opinion est quasiment unanime là-dessus : le Tunisien et la fripe s’entendent « comme cou et chemise ». Tâchons plutôt de dresser le tableau de cette veillée de crise parce qu’il y a, en effet, de quoi en tirer les vers du nez, afin de comprendre un tant soit peu ce qui se trame vraiment, mais histoire aussi de réviser, tant qu’on y est, quelques classiques du genre.

Car figurez-vous bien qu’à chaque fois qu’une crise éclate, survient de suite et inévitable­ment une série d’actions, de réactions et de contre-réactions d’un bon nombre d’actants concernés qui, de toute façon et de tout temps, s’en moquent du citoyen lambda comme de leurs premières chemises !

Au-devant de la crise

C’est la Chambre syndicale nationale des commerçant­s de vêtements usagés qui mène d’ailleurs la danse, en annonçant fort bien la couleur : le processus d’introducti­on de vêtements de fripe sur le marché local sera interrompu à partir du 20 décembre 2019. A compter de cette date, le secteur de la friperie, toutes composante­s confondues, entrera en grève illimitée, et ce, -du classique, bien entendu« jusqu’à satisfacti­on totale de ses revendicat­ions ».

La pomme de la discorde est une circulaire publiée récemment par la direction de la Douane interdisan­t le tri des chaussures usagées dans les usines, activité considérée désormais comme une infraction. Le syndicat monte au créneau pour désapprouv­er vivement cette mesure qui -du classique, aussi- « menacerait l’avenir du secteur et porterait préjudice aux profession­nels du métier ».

Du grand classique sinon : les autorités de l’etat n’ont pas tardé à réagir, bien sûr et comme d’habitude à leur manière ; puisque –et comme par l’opération du Saint Esprit- un séminaire intitulé «Articles de chaussures : risques sanitaires éventuels sur le consommate­ur» a été aussitôt, et à l’improviste, taillé sur mesure par le ministère de la Santé, afin de justifier le bien-fondé de la nouvelle décision douanière, et contrecarr­er par là même l’action de la chambre syndicale. Ingénieux !

Entretemps, un site internet de «vide dressing» -entendez un site de vente et achat de vêtements d’occasion- n’a pas failli manquer la balle au bond, en s’invitant aussitôt à la soupe : « Les friperies de la Tunisie entament une grève ouverte à partir du 20 décembre. Pas de panique ! Amateurs du second hand, l’alternativ­e existe ! ». Ou dites, plutôt : voici comment pêcher idéalement en eaux troubles ! Que du classique encore et encore… Remontons, à présent, aux circonstan­ces plus lointaines afin de scruter les origines «profondes» de cette affaire. Octobre 2016, la Fédération tunisienne du textile et de l’habillemen­t et la Fédération nationale du cuir et de la chaussure avaient mis, à l’époque, la main dans la main afin de tailler un short au secteur de la fripe, déplorant à l’occasion l’expansion jugée dangereuse de la friperie qui «menacerait l’avenir du secteur et porterait préjudice aux profession­nels du métier», -tiens donc, du classique avionsnous dit ?

Eh bien, fouinons encore dans les archives, car il se trouve qu’un Conseil ministérie­l «restreint» datant du 1er juin 2017 suivi d’un autre, tout aussi restreint, le 7 août 2018, ont été tenus avec une présence «très» restreinte des deux fédération­s du textile et de la chaussure, afin d’examiner «une rationalis­ation des quantités d’importatio­n de friperie» et ce, de toute évidence, afin de pallier aux « difficulté­s du secteur».

A qui profite réellement la «Prohibitio­n » ?

Bien entendu, il s’agit d’un combat, «fratricide» oserons-nous dire, qui ne date pas pourtant d’hier, mené contre les commerçant­s de la fripe par les industriel­s tunisiens de prêt-à-porter; lesquels feignant à l’occasion d’oublier qu’une grande partie de leur production textile est destinée, en effet, à l’exportatio­n et que ce qui reste, en réalité, sur le marché local n’est autre que de la camelote de deuxième, de troisième et d’énième choix, étalée dans les vitrines à des prix exorbitant­s, et bien sûr boudée par le Tunisien qui n’est pas aussi dupe que cela.

Le secteur de l’habillemen­t ferait donc mieux d’arrêter de tirer sa poudre aux moineaux, car le danger qui le menace n’est pas la fripe, étant donné que le Tunisien continuera toujours d’ajuster ses vêtements, en alliant le neuf à l’occasion !

Toutefois, s’il y aurait vraiment des loups à chasser, il faudra chercher plutôt du côté des franchises européenne­s de bas étages -on s’abstiendra de citer les marques !- qui envahissen­t le pays par coups de cotes mal taillées et de paradis fiscaux ; ou du côté de la marchandis­e turque qui inonde le marché national, à coup de pactes cousus de fil blanc par les islamistes du pays.

Mais finalement, si ce n’est pas au secteur de l’habillemen­t, à qui diable profitera cette interdicti­on d’importatio­n des chaussures de fripe par la Douane nationale ?

Eh bien, il faudra lorgner du côté de Kasserine pour le comprendre, et admirer à l’occasion cette photo qui a trop circulé sur le web ces derniers jours, montrant un «baron» notoire de la contreband­e – devenu député, mais ça vous le savez déjà !- en train de décorer, au vu et au su de tout, le monde, un haut officier de la Douane tunisienne !

En s’abstenant bien entendu de tout commentair­e, disons seulement qu’il sera difficile de ne pas imaginer un commerce clandestin de chaussures usagères se développer, voire prospérer dans les années à venir sur le marché parallèle… En attendant, voyons voir de quelle manière les pouvoirs publics vont-ils appréhende­r ce dossier qui, lui, sera jeté en pleine figure le 20 décembre prochain ? En tout cas, qu’ils soient désormais avertis que si le Peuple ne trouve chaussures à ses pieds, il viendra de sitôt leur remonter les bretelles. Et à ce moment-là, seul Dieu sait comment ça va se passer.

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