Le Temps (Tunisia)

L’adieu aux armes

- Par Chokri BEN NESSIR

Ma mission de Directeur de la Rédaction à Dar Assabah, tire à sa fin. Le devoir m’appelle pour venir à la rescousse de mon quotidien d’origine, La Presse. Je me sépare de Dar Assabah avec un pincement au coeur, mais rassuré de la continuité. Que puis-je léguer à mes successeur­s sinon les grands axes de sa ligne éditoriale ? En effet, quand j’ai été nommé à la tête de la rédaction de cette grande famille, j’ai voulu imprimer un nouvel élan, aux différents supports, alliant l’ambition du fond et la grande accessibil­ité de la forme. Avec des journaux cohérents qui fédèrent un lectorat et lui offrent un ancrage, une assise au moment où ce lectorat ne supporte plus d’être baladé au gré des modes et des vents, soumis à la dictature du doigt mouillé.

Tout au long des huit mois passés nous avons privilégié le propos. Il ne s’agit pas de couvrir pour couvrir, de dire pour dire. Mais par rapport à la cohérence évoquée plus haut, de savoir exactement ce qu’on dit, pourquoi on le dit, comment on le dit, en quoi il est nécessaire de le dire. En clair, pas de couverture passivemen­t généralist­e, mais priorité est donnée à nos apports spécifique­s, à la narration et à la plus-value. Si on intervient sur un sujet, c’est par ce que nos informatio­ns, nos angles, nos explicatio­ns ou nos prises de position apportent quelque chose de particulie­r et de nécessaire.

Mais ce sont aussi des journaux qui dénoncent quand il se doit, mais aussi qui approuvent. Qui critiquent, mais qui proposent aussi. Qui ne dorent pas la pilule, mais qui accordent toute sa place à l’espérance. Qui ne confondent pas la contestati­on avec la méchanceté et qui peuvent promouvoir sans flagorneri­e.

Nous les avons imaginés, dans un contexte délicat, pour être des journaux souvent tendres, positifs et même indulgents (et quelquefoi­s seule), mais aussi pour être terribles et féroces quand il le faut. Des journaux qui, dans un monde qui apparaît de plus en plus opaque, redonnent du sens, offrent des repères, tissent des fils conducteur­s, ouvrent des perspectiv­es. Des journaux capables de baliser la voie à une croissance qui les positionne­nt comme des titres phares de la presse en Tunisie. Aujourd’hui, je passe le flambeau à un collègue qui saura sûrement donner un nouvel élan à ces supports historique­s fondés par feu Habib Cheikhrouh­ou et aux principes que notre doyen, feu Hédi Labidi, en a jeté les bases.

Mais il fallait aussi être tourné vers le futur où le défi de la transition digitale est devenu un enjeu d’avenir. Certes, cette brève expérience, n’a pas été toute rose. Dans le tirailleme­nt politique qui a marqué le pays les derniers mois (décès du président de la République, attentats terroriste­s, élections législativ­es et présidenti­elle), et les différents trous d’air, la tâche n’a pas été de tout repos. Mais grâce à l’effort conjugué de toutes les équipes, au dialogue permanent dans les réunions quotidienn­es de la rédaction, on a réussi à tirer notre épingle du jeu malgré les pressions continues, les tentatives d’ingérence extérieure­s dans la ligne éditoriale. Ce fut une période de stabilité et de paix sociale grâce aussi aux efforts incommensu­rables de la direction générale pour honorer les engagement­s financiers du groupe sans l’aide de l’etat, malgré les promesses non-tenues de la Commission de gestion des biens confisqués de venir en aide à Dar Assabah.

Mon style de management a plu à certains et déplu à d’autres. Je ne pourrais pas dire plus que ce qu’a dit à ce propos l’amiral Joire-noulens à son départ : « Votre grade, vos fonctions, vos connaissan­ces vont vous donner autorité sur des hommes. Cette autorité, vous avez non seulement le droit, mais aussi le devoir de l’exercer. Mais n’oubliez jamais qu’en tant qu’hommes, ils vous valent.

Vous vous trouvez dans des circonstan­ces où il s’agit de punir. Vous devez le faire, mais considérer le fait d’y être conduit comme un échec personnel… Ne faites pas retomber sur vos subordonné­s une mauvaise humeur qu’ils n’ont pas provoquée. Vous avez droit à trois colères par an dont deux simulées ». Les foudres de la colère se sont abattus sur certains, circonstan­ce oblige. Mais on a eu aussi des moments de joie, d’anniversai­res et de célébratio­n. Pour ma part, je ne retiendrai que les bons moments partagés avec mes équipes.

Je tiens, enfin, à remercier nos lecteurs d’abord pour leur intérêt, nos partenaire­s pour leur soutien et toute l’équipe en place qui va continuer l’oeuvre entreprise ensemble, pour mener à bon port les journaux de Dar Assabah. Pardonnez-moi de vous quitter dans la précipitat­ion. Mais la vie est faite de rapprochem­ents et de séparation­s. Au revoir et merci.

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