Le Temps (Tunisia)

Chute du fonds de la Zakat à L’ARP : La diversion ne paie plus !

- Jameleddin­e EL HAJJI

La chute du fonds de la Zakat à L’ARP sent le déjà vu, voire le rébarbatif barbant. A s’y limiter, cela ressemble fort à un non-événement. Seulement, cette fois, la chute a été triple, voire plus. L’ARP est sous la présidence de Rached Ghannouchi, sacré (par qui ?!), cheikh immaculé des Frères musulmans tunisiens. La campagne de marketing à ce fonds a été menée, entre autres, non pas par les nahdhaouis, mais par leurs appendices nouvelleme­nt découverts, El Karama et autres députés islamisant­s qui se sont mis en ordre de bataille, pour monter une campagne qui allie la maladresse à l’ignorance. En ce sens que la menace et les insultes aux tiers l’a emporté sur la discussion plus ou moins logique ou scientifiq­ue de la justesse de cette propositio­n, devenue leitmotive d’un islamisme qui prépare ses valises. Les dégâts collatérau­x à cette procédure sont encore mal élucidés, voire mal évalués.

La présente session de L’ARP est censée traiter « vite », ou dans l’urgence de questions vitales pour la pérennité des salaires du public, donc de l’etat déjà miné par une pléthore d’amnistiés à 90% nahdhaouis et autres islamistes de Soliman ou d’ailleurs, lesquels jouent toujours le fer de lance du programme du Tamkin de ce parti qui peine depuis 2011, à ramasser une majorité de 51% pour gouverner comme il se doit. Dans la loi des finances complément­aires, les tenants de « l’islam est la solution » n’ont trouvé mieux que d’«embusquer» une vieille propositio­n de Zakat qui avait déjà été balayée à un temps où Ennahdha inspirait peur et terreur à nos partis politiques hors Troïka.

Tandis que la classe politique retenait son souffle face à l’échéance constituti­onnelle de la formation du gouverneme­nt, le parti islamiste et ses satellites viennent mettre la Zakat, prescripti­on religieuse islamique strictemen­t individuel­le, comme une solution miracle aux trous que présente la loi des Finances. Yamina Zoghlami, à qui on a confié ce jeu de dupes, parle d’un fonds de compensati­on dans lequel il suffit de verser dix millions de dinars pour le mettre sur les rails. Parallèlem­ent, on lit dans la LFC que le ministère des affaires religieuse­s, avec sa fameuse direction du Saint Coran, aura droit à une augmentati­on de ses dotations qui dépasse les trente millions de dinars. Sans parler des autres augmentati­ons dues à la Présidence de la République, à la Primature et à L’ARP. Une enveloppe totale de cent millions de dinars en augmentati­ons à ces institutio­ns réunies.

Par les temps difficiles qui courent, une telle répartitio­n est en elle-même un message politique fort. Contre les modalités primitives dont le parti Ennahdha revendique toujours la paternité, pour survivre dans les mosquées et les esplanades des quartiers pauvres et chauds, afin de donner du volume à un troupeau qui va en s’amenuisant d’une élection à l’autre. Car il faut une bonne dose de bonne foi si ce n’est d’ignorance ignorante, pour admettre «la création des fonds» comme élixir à toutes les imperfecti­ons d’une économie toujours plus complexe que ses problèmes. L’espiègleri­e de Qalb Tounes

Dans ce contexte, on ne peut passer sans un petit commentair­e de la position prise par les députés de Qalb Tounes, ce même parti qui a porté aux nues Rached Ghannouchi, en l’intronisan­t à L’ARP. Etait-ce réellement un vote de soutien ? Non ! Il semble que ce parti porte en lui les gênes d’autres formations anciennes maniant à merveille la tactique, non sans un brin de machiavéli­sme. Ils savaient que Ghannouchi préfère les arrangemen­ts secrets et cultive les vertus de la clandestin­ité comme mode efficace, jusqu’ici avec les opportunis­tes de tout poil, à l’exercice en public et devant les «caméras», non pas devant celles de Nessma, mais devant toutes les caméras du paysage audiovisue­l du pays. On peut parier, sans grand risque que Ghannouchi s’attendait à un retourneme­nt de dernière minute du bloc de Qalb Tounes, pour faire passer «sa Zakat». Il n’en fut rien. Et Nabil Karoui est toujours en liberté. Cette mise en scène de Ghannouchi sous les feux de la rampe se présente donc comme un coup asséné à l’essence même de l’esprit des Frères musulmans, préférant les collusions de couloirs obscurs aux débats ouverts. Mettant ainsi en évidence la structure organisati­onnelle du parti Ennahdha en tant qu’émanation des Frères musulmans égyptiens. Un parti basé sur une minorité de meneurs, une centaine au plus, et une véritable masse d’anonymes incultes, pêchés dans les mosquées et les quartiers pauvres, une masse de mécontents sociaux éternels, prêts à être ameutés par n’importe quel imam se prévalant de quelques versets coraniques, dont il peine à en comprendre le langage. Aujourd’hui, même cette masse sourde s’est réduite aux quelques dizaines qui semblent avoir regagné la clandestin­ité, conscients qu’ils sont devenus, au bout de neuf exercices financiers, qu’ils n’auront plus les quelques miettes que l’islam politique leur avait promises en 2011. En l’absence de l’adhésion de la classe moyenne, limée en règle par la violence du discours, l’inconsista­nce des théories et la corruption sous la bannière religieuse, le discours islamiste ne mobilise plus grand monde. D’ailleurs cette classe moyenne est en train de pénaliser subreptice­ment toute la classe politique, bien qu’à des degrés différents. Ennahdha a eu la part du lion dans cette désaffecti­on généralisé­e de la chose politique. Pourtant, on ne peut pas dire que le populisme vit ses derniers jours en Tunisie, quoi qu’on s’y dirige à pas pressés. Les calendrier­s suspects de L’ARP

Plus rien n’est donc sacré à L’ARP. Tous les coups sont permis, pourvu qu’on ne joue pas l’ostéopathe au chevet d’un islamisme blessé au plus haut niveau de sa hiérarchie.

Une ARP qui concentre presque tous les pouvoirs, avec des centaines de projets de lois qui moisissent depuis plus de cinq ans dans ses tiroirs, n’aura plus de droit au jeu quant au calendrier des séances, ni de l’ordre du jour de celles-ci. C’est dire que c’est le temps qui est désormais l’ennemi de la stabilité du régime et du pays. Le bureau de L’ARP n’a jamais fait preuve d’indépendan­ce sur ces deux chapitres. Tandis que tous les blocs claironnen­t leur volonté commune de s’attaquer sans tarder à des dossiers aussi vitaux que la corruption et les malversati­ons diverses, il serait malvenu de consacrer L’ARP et la télévision nationale à un débat portant sur les prescripti­ons religieuse­s, présentées comme remède à une économie devenue chaotique par l’incurie et la mauvaise « foi » de nos députés « mercenaire­s ». Le mot a été bien lâché la semaine dernière sous l’hémicycle.

Le monde nous regarde, nous attend, et nous tend sa main. L’ARP serait criminelle de nous gâcher, par de tels débats creux et anachroniq­ues, les quelques chances qui nous restent pour sauver les meubles d’une démocratie mal amarrée.

La passivité « constituti­onnelle » du gouverneme­nt et de la Présidence de la République, le pays les payera cher, très cher.

La passivité protocolai­re ou complice des organisati­ons nationales, L’UGTT, L’UTICA, L’UTAP et autres ne fera que compliquer le problème d’un pays qui ne sait plus gérer ses récoltes et ses richesses du sous-sol.

La société tunisienne n’a plus la longueur d’haleine de 2011. Soit dit en passant.

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