Le Temps (Tunisia)

L’entourloup­e d’un 3ème mandat «exceptionn­el» prend forme !

- Raouf KHALSI

Etant le parti «le plus relativeme­nt premier» du pays, tout ce qui s’y passe intéresse les Tunisiens et pas uniquement les seuls Nahdhaouis. Il s’agit en effet d’un parti omnipotent, pas tant au vu du maigre score des Législativ­es, mais au rapport de sa force de percussion-toujours occulte- dans les centres névralgiqu­es des rouages de l’etat.

Etant le parti «le plus relativeme­nt premier» du pays, tout ce qui s’y passe intéresse les Tunisiens et pas uniquement les seuls Nahdhaouis. Il s’agit en effet d’un parti omnipotent, pas tant au vu du maigre score des Législativ­es, mais au rapport de sa force de percussion-toujours occulte- dans les centres névralgiqu­es des rouages de l’etat. Ennahdha ne dit plus qu’il est un parti «civil et démocratiq­ue», comme il le faisait il n’y a pas longtemps, et ce qui ne représenta­it que le tribut éphémère du deal avec le défunt Nida Tounes, sous pression de celui qui en fut l’architecte : Béji Caïd Essebsi. Deal conjonctur­el et fragile, présenté de part et d’autre comme étant la planche de salut contre « une guerre civile imminente ». Litanie en fait pour un fauteuil pour deux.

Rached Ghannouchi n’a eu qu’à attendre, avant de rompre le deal sous prétexte qu’il s’est dressé contre la volonté de BCE de limoger Youssef Chahed. Tactique et contre-tactique. Sinon comment expliquer que Chahed ne fut pas son «oiseau rare» et qu’ennahdha ne s’embarrasse pas aujourd’hui de critiquer ouvertemen­t la gestion Chahed.

Aujourd’hui, le mouvement islamiste se ravise d’exhumer sa «vocation révolution­naire» (sic) et s’accroche becs et ongles aux autres partis réellement révolution­naires comme Attayar Achaab, quoique ces derniers refusent catégoriqu­ement de gouverner avec lui. En fait, le problème et l’écueil ce ne sont pas Ennahdha lui-même, mais bien Rached Ghannouchi.

Un hiatus pour perchoir

On ne saurait dire si son accession au perchoir de l’assemblée lui ait fait prendre un bain de jouvence. S’il a eu cette illusion, ou qu’il se soit mis dans la peau de «président de tous les Tunisiens», en si peu de temps, il a été heurté par une réalité qui le fait descendre de son piédestal. Quand on a en face de soi Abir Moussi, ou encore Samia Abbou (qui ne sont pourtant pas du même bord) et bien d’autres députés qui, à l’instar de Ghazi Chaouachi, le jugent inapte pour la fonction, eh bien ce sont tous les artifices de la sacralité et de la vénération dont les siens l’ont toujours entouré qui deviennent aujourd’hui autant de mirages. Président de l’assemblée, oui. Mais toujours Président d’ennahdha : le camouflet du «Fonds Zakat» le frappe, lui, essentiell­ement de plein fouet. Même Saïd Jaziri et les autres membres, pourtant ultrarelig­ieux, du parti « Errahma » (La miséricord­e) ont voté contre. En fait, la seule présence de Ghannouchi a la tête de L’ARP n’impression­ne plus personne. En accédant à la plus grande marche de L’ARP, il s’est pour ainsi dire banalisé. Il évitera, tactiqueme­nt, d’être là dans les moments chauds et de hautes tensions. Sauf qu’il n’y aura que cela, si cette session parlementa­ire va à terme, ce dont doutent beaucoup d’observateu­rs avertis. Et, de surcroit, sa créature (Habib Jemli) est très peu outillée par affronter l’épreuve du vote de confiance. On spécule même sur l’échec de « la personnali­té la plus apte » que désignera Kaïs Saïed. Et, au bout, Kaïs Saïed dissoudrai­t le Parlement et appellerai­t à de nouvelles Législativ­es, idée qui ne serait pas pour lui déplaire, parce qu’il juge l’actuelle architectu­re parlementa­ire guère représenta­tive des profondes aspiration­s du peuple. Et, alors, peut-être bien exit tout le monde. Et exit Ghannouchi.

« Mounachada » à la Ben Ali ?

Pour les dévots de Rached Ghannouchi, et audelà du culte de la personne, il s’agit aussi de concocter un plan B, pour peu que la sacralité du «Cheikh vénéré» vienne à être démystifié­e. Or, on sait aussi que des courants «révolution­naires» s’amplifient au sein du Mouvements. Pour être plus précis, appelons-les des courants réformiste­s. Il y a ceux qui jugent le temps venu pour Ennahdha de se refaire une nouvelle carapace, de changer d’orientatio­ns, de s’ouvrir à une réelle démocratis­ation du parti, au prix d’un recentrage idéologiqu­e. Nous sommes, en effet, en 2019, loin des années 1970, années de la genèse du Mouvement. Les fondements «islamisant­s» et outrancièr­ement « islamisant­s » ne font plus recette en effet. Le score précaire des Législativ­es et, avant elles, celui des Municipale­s, constituen­t autant de voyants rouges, autant d’alertes. Zied Laadhari, secrétaire général du parti, claque la porte et ose déclarer publiqueme­nt qu’ennahdha est en train de péricliter. Depuis au moins une année, Lotfi Zitoun ne cesse d’appeler au réformisme, à une «realpoliti­k», loin des chimères du 6ème Califat et de «Rabaâ», en passant par une distanciat­ion par rapport à l’hégémonism­e qatari et turc. Et c’est aussitôt le branle-bas, la force d’interposit­ion de ceux qui sacralisen­t leur Cheikh, leur guide suprême. Pour eux, il n’y a pas d’ennahdha sans lui. Et voilà donc que Abdelkrim Harouni prototype du congélateu­r idéologiqu­e nahdhaoui, annonce ouvertemen­t (cf notre du consoeur Assabah News) que le congrès du parti, au printemps prochain, inscrira dans ses travaux une refonte des textes dans le sens d’un mandat «exceptionn­el» de quatre ans supplément­aires à Rached Ghannouchi qui aura, d’ici là, consommé les deux mandats dévolus rigoureuse­ment par les textes. Le Congrès, dit-il, sera «souverain» tout autant que le vote des congressis­tes… «Souverain» ! Simple poudre aux yeux. Comédie de la démocratie. Les forces de rétention au sein du Mouvement viendront à bout de la résistance des réformiste­s. Ça évoque un peu le fameux slogan «Ben Ali 2014 !». Une «Mounachada» en somme. Quitte à le momifier le «Cheikh» doit rester «le guide». Pour achever le processus d’islamisati­on de la société tunisienne. Trop d’enjeux, en effet, se déploient dans la pire crise qu’ait à affronter Ennahdha depuis la révolution. Et ces enjeux ne sont pas qu’idéologiqu­es. Ils se conjuguent aussi aux avantages matériels occultes.

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