Le Temps (Tunisia)

Entre chien et loup…

- Par Samia HARRAR

Il faudra se souvenir, lorsqu’elle sera tellement loin, qu’il ne suffira plus de se pencher pour la saisir, que la chance est passée par-là, évanescent­e et brusque, à vous toucher, et que vous n’avez pas su la saisir.

Les destins des peuples, se confondent, généraleme­nt, avec les moments d’absence qu’ils auront cultivés, et pis encore, entretenus, avec leur pays, sans se rendre compte, qu’en réalité, ce faisant, ils avaient été absents à eux-mêmes. Ce genre d’absence peut être suicidaire. Car il n’y a pas que la nature qui ait horreur du vide.

La « chienlit » mange du terrain lorsque tout le blé a été amassé, sans qu’il y ait culture de nouveaux « semis », en prévision de la saison nouvelle. Est-ce que le rythme des saisons, s’accorde avec celui des Hommes ? Le sage vous répondra toujours : l’harmonie vient de l’intérieur. D’abord. Mais ce qui ne change pas, et peu importe la latitude où vous vous trouviez, et les fuseaux horaires, c’est qu’il n’est pas possible de récolter, ce que l’on n’a pas semé. Qu’est-ce qu’on a semé dans le pays depuis la « révolution » de 2011 ? Et qu’est-ce qu’on récolte aujourd’hui ?

Non, il n’est pas question d’avoir à choisir, entre les libertés et le « pain ». C’est digne d’un autre siècle et ça ne se monnaye pas. Alors, qu’est-ce qui s’est passé, et qu’on n’a pas su maîtriser ? Beaucoup de choses et si peu de choses. Si peu, contient une infinité de mondes…

Aujourd’hui, il y a quelque chose qui manque à l’appel. Et ce quelque chose a à voir avec l’essentiel. L’essentiel de ce qui n’a pas été fait, l’essentiel de ce qui reste à faire, l’essentiel de ce que nos politiques, et nous avec, auront raté dans la foulée. Mais il y a aussi la certitude, pressante, brûlante, comme un appel lancinant que rien ne saurait étouffer parce qu’il vient de très loin, répercuté d’âge en âge, et qu’il a atteint sa maturité en souffrance, et qu’il ne veut plus se taire, qu’on ne joue pas impunément avec le destin d’un pays, comme la Tunisie, sans avoir à en rendre des comptes, un jour ou l’autre, sans avoir pu, non plus, vu venir. Une lame de fond qui s’élève, peut, en une fraction de seconde, tout emporter sur son passage. Ce n’est pas si négligeabl­e qu’il faille perdre de vue, un seul instant, qu’il y a des continents entiers qui ont été engloutis. En une fraction de seconde. Parce qu’une seconde peut contenir l’éternité…

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