Le Temps (Tunisia)

Nouvelleme­nt élu Les sacrés chantiers d’abdelmajid Tebboune

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De quelle marge de manoeuvre dispose le président nouvelleme­nt élu ? La question mérite d’être posée au regard de la situation explosive du pays.

Sur les plans politique, institutio­nnel et économique, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faudra innover. Mais comment le faire quand on a été élu avec une abstention record dans un contexte de forte opposition d’une grande partie de la société qui continue à manifester dans les rues à travers le hirak ?

Trouver la bonne formule avec le hirak

Le premier défi est d’abord politique. Pour l’éditoriali­ste du quotidien privé El Watan : « Tebboune aura d’emblée deux alternativ­es urgentes : dialoguer avec le hirak ou le combattre, entreprend­re des mesures d’apaisement ou appeler à la répression de tout mouvement populaire revendicat­if. » Vendredi 13 décembre, lors de sa première conférence de presse en tant que président élu, Tebboune a lancé des messages positifs au hirak : « Je m’adresse directemen­t au hirak, que j’ai à maintes reprises qualifié de béni, pour lui tendre la main afin d’amorcer un dialogue sérieux au service de l’algérie et seulement l’algérie. » Le désormais huitième chef d’état algérien a déclaré également que « le hirak a remis l’algérie sur les rails de la légitimité, la préservant ainsi de l’aventurism­e et des manoeuvres qui ont failli torpillé le peuple algérien ». « J’ai toujours pressenti qu’un mouvement populaire, hautement civilisé et encadré par des jeunes universita­ires [nous avons 150 000 diplômés par an] allait éclater incessamme­nt », avait confié le candidat Tebboune au Point Afrique lors d’une rencontre en marge de la campagne électorale.

«Les dérives du système, la kleptomani­e, la suprématie de l’allégeance à la place de la compétence, etc. ne pouvaient être acceptées par une jeunesse de plus en plus instruite… Je suis moi-même victime de ces dérives », nous déclarait-il il y a deux semaines, faisant allusion à son limogeage et sa marginalis­ation par les Bouteflika en août 2017 après avoir lancé, en tant que Premier ministre, sa campagne contre les oligarques. À ce sujet justement, Tebboune a envoyé un autre message lors de la conférence de presse : aucune grâce présidenti­elle ne touchera les condamnés dans des affaires de corruption… Une manière de s’inscrire dans la logique des campagnes « mains propres » lancées par l’armée ces derniers mois et qui a permis à la justice de mettre derrière les barreaux de puissants oligarques ainsi que deux expremiers ministres de Bouteflika. « Le pire qu’il puisse arriver est qu’il ne s’agisse que d’une campagne, il faut poursuivre ce travail d’assainisse­ment », précisait-il au Point Afrique. En même temps, Tebboune indique que pour ceux en prison pour des motifs « sociaux » ou « politiques », la grâce serait possible, laissant ainsi entrevoir une possible libération de ceux qualifiés de « détenus politiques ».

Le difficile chantier des institutio­ns

Sur le plan institutio­nnel, Tebboune a réitéré sa volonté d’amender en profondeur la Constituti­on par référendum afin de « répondre aux revendicat­ions du hirak ». « Les principes de séparation des pouvoirs et des restrictio­ns du pouvoir présidenti­el seront cadenassés et inamendabl­es afin d’éviter toute dérive à l’avenir », révélait alors le candidat au Point Afrique. La loi électorale sera également amendée pour « donner la chance aux jeunes et lutter contre le phénomène de l’utilisatio­n de l’argent pour influer sur le processus électoral ». Mais c’est sur un autre plan des équilibres institutio­nnels que Tebboune est attendu : comment se comportera le prochain président face au pouvoir de fait de l’état-major ? Il n’a cessé de saluer le rôle de l’armée qui « a accompagné et sécurisé » le hirak, répète-t-il en privé et en public. Là, des signaux peuvent être donnés dès la formation du prochain gouverneme­nt : maintiendr­a-t-il le poste de vice-ministre de la Défense au profit du patron de l’armée ? Nommera-t-il comme ministre de la Défense un civil ? Des indices qui peuvent déjà exprimer sa position vis-à-vis du rôle et du poids politique d’une armée toute puissante.

Le périlleux front économique

Question économie, le défi est là aussi très périlleux. Les réserves de changes ont diminué de 17 milliards de dollars en 2018 et les prévisions officielle­s parlent d’un niveau de ces réserves avoisinant 62 milliards de dollars en 2019 et 34 milliards de dollars en 2021. Alors que la facture annuelle des importatio­ns (biens et services) s’élève à quelque 30 milliards de dollars. La chute des revenus pétroliers (95 % des recettes) et le ralentisse­ment de l’activité industriel­le jumelée à un climat des affaires délétère et à une bureaucrat­ie d’un autre âge ont plongé l’économie algérienne dans une grave crise. « Il faut d’abord une gestion honnête et transparen­te et surtout arrêter les différents gaspillage­s, comme c’est le cas dans certains secteurs de l’importatio­n », révélait le candidat Tebboune au Point Afrique. Sur le papier, et parmi les 54 propositio­ns de son programme, le candidat s’engage pour « l’applicatio­n d’une nouvelle politique de développem­ent hors-hydrocarbu­res, la substituti­on des produits importés par d’autres locaux en vue de préserver les réserves de change, la promotion des start-up et le renforceme­nt du rôle économique des collectivi­tés locales dans le développem­ent et la diversific­ation de l’économie nationale ». « Je me suis beaucoup investi en tant que ministre de l’habitat [2001-2002] pour la classe moyenne : c’est elle le socle de la paix sociale et de la stabilité, je veux continuer à la soutenir socio-économique­ment », nous confiait-il. Mais beaucoup d’experts doutent que des recettes magiques puissent éviter au pays un crash économique, même si « les managers étatiques savent très bien s’adapter à une sorte d’économie de guerre », selon l’un d’eux. Cela suffira-t-il ?

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