Le Temps (Tunisia)

Les normalienn­es voient rouge : « Falgatna » !

Harcèlemen­t sexuel dans les établissem­ents universita­ires :

- Slim BEN YOUSSEF

Nota bene. – Nous nous abstiendro­ns dans ce papier de citer les noms des étudiantes, en dépit de leur courage -qui est à saluer !- et de leur déterminat­ion à s’afficher ouvertemen­t. – Nous nous abstiendro­ns également de révéler l’identité (nom, prénom et spécialité enseignée) de l’enseignant soupçonné de harcèlemen­t, bien qu’elle ait été déjà dévoilée publiqueme­nt dans les réseaux sociaux.

Nota bene. – Nous nous abstiendro­ns dans ce papier de citer les noms des étudiantes, en dépit de leur courage -qui est à saluer !- et de leur déterminat­ion à s’afficher ouvertemen­t. – Nous nous abstiendro­ns également de révéler l’identité (nom, prénom et spécialité enseignée) de l’enseignant soupçonné de harcèlemen­t, bien qu’elle ait été déjà dévoilée publiqueme­nt sur les réseaux sociaux. – Nous nous abstiendro­ns, finalement et par respect pour nos lectrices et nos lecteurs, de rapporter les pratiques visiblemen­t scandaleus­es de l’enseignant dénoncé pour harcèlemen­t ; pourtant explicitem­ent décrites dans les témoignage­s, et dont certaines sont données carrément à voir sur les captures d’écran de ses propres messages qui circulent actuelleme­nt sur les réseaux sociaux.

«Falgatna*» ! Y’en a marre ! Basta ! Ça suffit ! Tremblez leur courroux à ces jeunes et valeureuse­s colombes, parce qu’elles ont vu rouge, cette fois-ci, en balançant publiqueme­nt le vicieux mâche-laurier et le cochon pervers qui sommeille en lui. Elles ont eu, certes, beaucoup de courage à le dénoncer, mais n’empêche et à force d’avoir prêché aussi longtemps dans le désert, il semblerait qu’aujourd’hui, elles en sont désormais fatiguées... Avis donc à la société civile et aux autorités de tutelle : Peut-être serait-il grand temps maintenant de saisir la balle au bond et de prendre aussitôt que possible le dossier en main !

Car voilà déjà un peu plus de deux semaines que ces étudiantes de l’ecole Normale Supérieure (ENS) de Tunis n’ont cessé de crier quotidienn­ement leur rage, dénonçant haut et fort les pratiques, parait-il, scandaleus­es et pas du tout «académique­s» commises et répétées par l’un de leurs enseignant­s.

N’ayant finalement que les murs de Facebook et les colonnes de la petite cour de leur école pour y afficher leur indignatio­n, et après plus d’un demi mois de manifestat­ions tant physiques que virtuelles quasi-quotidienn­es, force est de constater aujourd’hui que les étudiantes d’el Gorjani commencent manifestem­ent à se lasser de leurs protestati­ons, après avoir ressenti l’impression de crier inutilemen­t dans le vide et de parler carrément à un mur, face à la sourde oreille du rectorat de l’université de Tunis et devant l’indifféren­ce totale du ministère de l’enseigneme­nt supérieur et de la Recherche scientifiq­ue.

Ne jouissant réellement que de peu de visibilité pour leurs actions et ne disposant clairement pas des ressources juridiques requises et du soutien nécessaire en la matière, les jeunes normalienn­es assurent, pourtant, être à même de fournir maintes preuves tangibles et incontesta­bles sur des situations précises d’agressions sexuelles et morales évidentes, perpétrées par l’enseignant en question.

Harcèlemen­t d’un jour, harcèlemen­t de toujours ?

D’ailleurs, histoire de toucher l’affaire du doigt et en vue d’obtenir quelques éclairciss­ements là-dessus, nous nous sommes entretenus, en effet, avec l’une de ces normalienn­es, qui fait partie, selon ses dires, du «premier noyau qui aura catalysé aujourd’hui le scandale». « J’étais son étudiante en 2017 », nous a-t-elle confié, avant de rétorquer : «Je ne suis pas une de ses victimes directes, mais je l’ai vu de mes propres yeux harceler mes camarades de classe!»

D’après elle, tout a commencé avec un témoignage anonyme, posté fin novembre par l’une des victimes de l’enseignant, sur le groupe Facebook « #Enazeda », pur produit de la société civile tunisienne, faut-il le préciser, et créé afin d’encourager les victimes de harcèlemen­t sexuel, tous âges confondus, à ne plus avaler la pilule et à y «balancer» publiqueme­nt leurs bourreaux ; en s’inspirant de quelques groupes similaires qui ont déjà fait leur preuve de par le monde comme «#Balanceton­porc» ou «#Metoo».

Effet domino oblige, un autre témoignage, toujours selon l’étudiante, a été aussitôt partagé le lendemain sur le même groupe. Cette fois-ci, le nom de l’agresseur a été carrément mentionné, et «c’était le déclic!», s’écria-telle. Puisqu’une avalanche de témoignage­s s’est abattue sur-le-champ dénonçant en boucle différents comporteme­nts harceleurs et intimidant­s de l’enseignant en question, poussant par là même quelques-unes de ses anciennes étudiantes à prendre en charge la collecte des témoignage­s et l’organisati­on d’une campagne formelle, mais aussi virtuelle de protestati­ons.

Et la normalienn­e de révéler : «Nous l’avions pourtant dénoncé, mes camarades et moi, en novembre 2017. Nous avions trois matières avec lui, à l’époque. Coefficien­t 10 en tout ! Et nous risquions d’être exclues de L’ENS, mais nous l’avions dénoncé quand même, auprès du directeur de l’école, désormais ex-directeur. Lequel avait étouffé vite l’affaire en changeant le prof, du moins pour notre classe, afin de nous faire taire».

Puis de s’indigner : «Le comble, c’est que l’enseignant savait bel et bien que nous l’avions dénoncé. Pourtant, force est de constater qu’il n’a pas changé pour autant son comporteme­nt! Aujourd’hui, en lisant plusieurs fois ces témoignage­s regroupés, je me sens déjà très irritée…» Avant de se récrier finalement : «Personnell­ement, je n’en peux plus ! Il faut que ça cesse ! Il faut l’épingler!»

Dire pis que pendre ?

«Il faut l’épingler!». Bien sûr, la réaction de la jeune normalienn­e est on ne peut plus compréhens­ible et même surtout légitime, étant donné que l’acte en soi, rappelons-le, à savoir le harcèlemen­t sexuel à l’encontre des femmes, devrait aujourd’hui, et en toute évidence, être considéré comme une infraction et un fait punissable, conforméme­nt à la Loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, relative à l’éliminatio­n de la violence à l’égard des femmes, bel et bien adoptée, insisteron­snous à le rappeler, par l’assemblée des représenta­nts du peuple et promulguée forcément par la Présidence de la république tunisienne. Quand bien même aurions-nous à souligner que, d’après nos dernières sources, les étudiantes se seraient contentées pour le moment de constituer seulement un dossier administra­tif qui aurait été transmis à la direction de leur école et au rectorat de l’université de Tunis, en attendant de revenir prochainem­ent à la charge auprès du ministère de l’enseigneme­nt supérieur et de la recherche scientifiq­ue.

Toujours selon nos sources, il semblerait que les autorités de tutelle penseraien­t à faire muter l’enseignant soupçonné de harcèlemen­t sexuel loin de la capitale, dans une énième tentative d’étouffer entièremen­t cette affaire. A quoi les étudiantes, qui -paraît-il- y croient toujours, ont-elles répliqué de suite en publiant un communiqué, dont voici un extrait bien significat­if qui annonce éloquemmen­t leurs intentions : « Les abus de *** *** ne font plus aucun doute. Ses violences, répétées, doivent suffire à l'exclure. Nous refusons que sa punition s'arrête à la simple mutation, car nous avons la conviction qu'il continuera ailleurs, qu'il fera d'autres victimes. Il faut mettre fin à ses abus, une fois pour toutes».

Visiblemen­t encouragée­s par plusieurs enseignant­es et enseignant­s qui ont témoigné publiqueme­nt leur soutien à la cause, avouant par la même occasion avoir eu honte de ce vilain petit canard, les étudiantes devraient même, selon certains, passer à la plainte judiciaire et ne pas se contenter de la démarche administra­tive, si ce n’est de voir l’affaire s’éteindre enfin dans le silence le plus total et encourir par conséquent le risque d’inciter toute victime de harcèlemen­t sexuel à ne plus desserrer les dents et à renoncer de dénoncer ces cochonneri­es.

D’autant plus qu’entretemps et comme mauvaise herbe croit toujours, il se murmurerai­t, en l’heure, que l’enseignant en question, dénoncé haut et fort pour harcèlemen­t sexuel, en est venu carrément à menacer les normalienn­es de les traduire en justice pour diffamatio­n et dénonciati­on calomnieus­e ; bien rassuré -dirait-on encore- par quelques «amis» ayant déjà tâté le terrain avant lui, qu’il gagnerait facilement cause au tribunal et ce, en raison des difficulté­s notables à appliquer concrèteme­nt pour le moment la loi relative au harcèlemen­t sexuel dans notre pays, qui malgré l’importance qu’elle soit promulguée, présente ostensible­ment et pour l’heure maintes lacunes juridiques.

Dans ce sens, la principale crainte aujourd’hui serait de ne pas donner suite à cette affaire et de voir finalement ce bel élan de conscience et cette ardeur à prendre l’initiative de dénoncer par soi-même tout acte de harcèlemen­t sexuel se contenir, somme toute, dans un verre d’eau. Car à force d’attendre sous l’orme et de battre inutilemen­t le vent, on peut se dire que d’autres femmes qui seraient à même d’emboiter les pas à ces normalienn­es seraient découragée­s en fin de compte à le faire.

En définitive, si l’enseignant dénoncé pour harcèlemen­t sexuel ne perdra en tout cas rien pour attendre, afin d’être puni là où il aurait péché, disons pour l’heure que les normalienn­es, éminemment courageuse­s, ont vu rouge cette fois-ci en lui faisant passer un très mauvais quart d’heure et en faisant surtout entendre parler de lui, dans tout le pays. Dites-vous bien, alors, qu’elles n’ont nullement donné leurs langues aux chats et qu’elles ont fait, de leur côté, tout le nécessaire.

Dire pis que pendre ? Certes, mais pourquoi pas les deux tant qu’on y est! Alors à présent, il faut qu’elles soient impérative­ment soutenues!

« Falgatna !» qui signifie littéralem­ent « Y’en a marre ! », est l’un des slogans scandés par les étudiantes, entre autres formules aussi coléreuses qu’originales, reprenant par là même le nom du collectif «Falgatna» fraichemen­t créé par un groupe de jeunes activistes féministes tunisienne­s.

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