Le Temps (Tunisia)

On coupe la poire en deux : pas de confinemen­t général !

Le gouverneme­nt Fakhfakh en proie aux tirailleme­nts :

- Raouf KHALSI

Si l’opportunit­é des mesures drastiques a tout l’air de faire l’objet de grands tirailleme­nts dans les hautes sphères du pouvoir et, donc, pas encore dans la logique de l’indispensa­ble « Task force », le Covid-19, lui, n’attend pas. Se contenter d’un « bulletin de santé » au quotidien, tout en louant la providence de ce que le chiffre de contaminat­ions soit « clément », s’apparente à une gestion de crise au jour le jour, à la petite semaine, alors que L’OMS prévoit une fulgurante recrudesce­nce de la pandémie sur les prochaines semaines du mois de mars.

Elyès Fakhfakh est, certes, en train de parer au plus pressé. Il avait même quelque peu rassuré les Tunisiens dans son discours de vendredi dernier, annonçant une mesure préventive. A savoir passer directemen­t au palier 3, réduire les vols, fermer les frontières portuaires sauf pour l’entrée des marchandis­es et toutes les autres mesures de restrictio­ns tenant aux espaces publics. Etait-ce, cependant, suffisant ? Le stade 3 ne suppose-t-il pas des mesures autrement plus drastiques ?

Le Président parle enfin !

Il faut d’abord admettre que le Coronaviru­s représente le fléau mondial le plus dévastateu­r depuis un siècle. Mais, il faudra bien par ailleurs reconnaitr­e qu’en Tunisie, nous avons toujours le réflexe de tout minimiser et de considérer que « cela n’arrive toujours qu’aux autres ».

En comparaiso­n avec son discours résolu de vendredi dernier, avant-hier soir, Fakhfakh nous a paru plutôt vague et imprécis. Il a certes annoncé de nouvelles mesures tenant essentiell­ement à la fermeture de nos frontières, à l’instaurati­on modulée de la séance unique, techniquem­ent mise en place pour fluidifier les transports publics. Il n’en a pas moins fait un peu trop dans l’empathie, louant le sens de la solidarité des Tunisiens, l’engagement de la société civile et en appelant à souscrire au 18.18 pour récolter des dons pour ce qu’il n’a pas encore appelé «l’effort de guerre». Et, puis, ce retard pris par le discours, ce qui a fait que les Tunisiens se sont précipités sur celui de Macron, sans s’empêcher d’inonder la toile de sarcasmes et de comparaiso­ns, toutes teintées d’humour noir inappropri­é en ces temps de grave solennité.

Le Chef du gouverneme­nt est, à l’évidence tiraillé. Un peu trop même. Il aura donc fallu que le Président de la république sorte de son mutisme et décrète le couvre-feu. Les appels au confinemen­t général se font, néanmoins, toujours aussi stridents. A l’évidence, un pas que Fakhfakh n’entend pas franchir parce que sa « ceinture politique » est divisée sur le sujet. Le cadre juridique ? Il existe dès lors que nous sommes en état d’urgence dans le cadre du décret 78-50 du 26 janvier 1978. L’ancien ministre de la Défense, Farhat Horchani, constituti­onnaliste de son état, juge même que ce décret est suffisant pour nous éviter de nous rabattre sur l’article 80 de la Constituti­on, article relatif au « péril imminent ». Ce décret donne beaucoup de pouvoirs au ministre de l’intérieur et aux gouverneur­s dans la sécurisati­on de l’ordre public, l’interdicti­on de circuler pour les véhicules et les personnes et, même, les assignatio­ns à résidence. Or, le décret lui-même est décrié par les partenaire­s mêmes de Fakhfakh, par bon nombre de blocs parlementa­ires et, alors, que dire du recours à l’article 80, tenant, comme mentionné plus haut, au « péril imminent ». Un texte constituti­onnel, ça s’applique. Pas besoin de recourir au Parlement. Fakhfakh n’osera pas le faire. Le Président l’aura évité, coupant la poire en deux !

Juste 250 lits de réanimatio­n !

Fakhfakh ne pouvait être pleinement rassurant face à la réalité des choses. Il est là depuis, à peine, quelques semaines, et l’on ne saurait le tenir pour responsabl­e de la monstruosi­té des avatars (c’est le mot) de la Santé publique. Voilà donc, une réalité qui nous éclate en pleine figure. En plus d’un demi-siècle d’indépendan­ce, la Santé publique ne compte que 175 unités hospitaliè­res, 15 mille médecins, dont, à peine, 500 anesthésis­tes-réanimateu­rs et, chiffre effarant, juste 250 lits de réanimatio­n et le même nombre de respirateu­rs ! On dit que la Tunisie de l’indépendan­ce a misé sur l’éducation, sur la femme et sur la Santé publique. Force est de reconnaitr­e, aujourd’hui, que le pays de Pasteur a failli dans cet axe.

Combien d’hôpitaux ont été construits à l’ère Bourguiba ? En tous les cas, pas autant qu’il préconisai­t dans sa stratégie « visionnair­e ». Combien avec Ben Ali ? Parlons, là, plutôt de l’excroissan­ce exponentie­lle du secteur privé, c’est-à-dire les cliniques, indispensa­bles certes, mais dont le nombre n’est pas en adéquation avec celui du secteur public. Et combien d’hôpitaux ont été installés après la révolution ? Rien. Les mosquées sont prioritair­es.

Maintenant, nous voilà confrontés aux délabremen­ts structurel­s de la Santé publique. Et, plus que tout, confrontés au manque d’équipement­s, au manque de respirateu­rs, au manque de masques, au manque de gels désinfecta­nts.

Le problème, c’est que nos médecins et nos infirmiers en première ligne pour traiter les sujets contaminés en manquent eux aussi. Au point qu’abdellatif El Makki s’est retrouvé dans l’urgence de lancer, lundi, un appel d’offre national et internatio­nal pour l’approvisio­nnement en équipement­s. Mais cela ne se fait pas en 24 heures. Et, l’on s’imagine bien que les fournisseu­rs n’auront pas d’états d’âme face à cette aubaine.

Il y a quand même à relever que les cliniques privées ont décidé, dans un élan de solidarité, de faire don à l’etat de lits d’urgence et de mettre à sa dispositio­n aussi des médecins. Par ailleurs, les hôpitaux seront désengorgé­s dans la mesure où les urgences seront prioritair­es et que les interventi­ons chirurgica­les, ne comportant pas de caractère urgent, seront différées. Tout cela rassure, mais juste un peu. Parce que le problème reste entier. D’abord, parce que personne ne saurait prévoir comment évoluera la pandémie. Ensuite, parce que, si Fakhfakh en est encore aux demi-mesures, c’est parce qu’il craint la récession économique. Il reste que cette approche se limitant à comptabili­ser, au jour le jour, la propagatio­n du virus et à se féliciter que cela évolue lentement, ne saurait suffire face à la péremptoir­e indiscipli­ne de bon nombre parmi nos concitoyen­s.

Le sens de l’etat exige, en effet, que l’on s’attende toujours au pire. Et que l’on s’y prépare. Dans « L’exil et le royaume », un personnage d’albert Camus bénit le ciel parce ce qu’en s’effondrant, le mur délabré de son jardin, n’a tué que quatre parmi ses huit enfants….

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