Pressante demande d’etat, de l’etat-providence !
L’exécutif face à son destin
Face à la pandémie, partout dans le monde, que l’on soit en régime présidentiel, parlementaire ou, simplement, dictatorial, les chefs de l’exécutif montent en première ligne. On a vu Macron répéter le : « j’ai décidé » à l’envi et sur un ton martial, tout en appelant au sens des solidarités. On l’a bien vu encore décider que l’etat prendra tout en charge. Quand il parle de solidarités, ce n’est pas pour récolter des dons. Mais pour l’entraide entre citoyens. Madame Merkel, pourtant en régime parlementaire, s’est arrogé, elle aussi, des pouvoirs étendus et qui ne recourent pas à l’aval du Parlement. Partout, en fait, c’est la résurgence de l’etat-providence !
Qui, dans le contexte de notre régime hybride, doit assumer son destin : celui d’un chef de guerre ? Qui pourrait faire émerger le sens de l’etat ? Aujourd’hui, il s’agit de soigner, de prévenir, de protéger et de sensibiliser. Or, l’éparpillement des pouvoirs, ce fauteuil pour trois consentiraient-ils à cette réémergence ?
Vivra-t-on d’amour et d’eau fraiche ?
On attendait beaucoup plus que des envolées lyriques du discours du Président. Comme déjà exposé par notre journal, l’état d’urgence constitue un cadre juridique suffisant pour décréter ce très controversé couvrefeu. Du moins, il éloigne momentanément le recours à l’article 80 de la constitution, inhérent au « péril imminent », article lui conférant tous les pouvoirs en situation d’exception, y compris celui de suspendre la vie politique tout entière, c’est-à-dire aussi, mettre L’ARP en quarantaine. S’il le faisait, il serait coupable de « parjure », lui qui fait un point d’honneur à préserver les institutions démocratiques. Quelque part aussi, il est un peu dans une espèce de « schizophrénie » : il n’aime pas ce régime. Il n’aime pas le centralisme étatique. Il n’aime pas, non plus, le centralisme parlementaire. Or, il s’y fond. Du reste, quand il appelle les Tunisiens à faire don de la moitié de leurs salaires, lui en premier, il calque, sans s’en rendre compte la technique du régime déchu : une solidarité insufflée (et dictée) par l’etat. Avant, c’était le 26-26, aujourd’hui, c’est le 18.18 pour la bonne cause. Les Tunisiens s’y sont mis : ils ont répondu à l’appel et Abdellatif El Makki, ministre de la Santé publique, n’a pas manqué de louer ce sursaut de solidarité.
Tout cela, c’est bon, et dans une certaine mesure, réconfortant.
Ce sont, cependant, les tergiversations du Président qui laissent pantois. Les voeux pieux tenant à une accélération dans le vote des lois par le Parlement. Les espoirs que les bailleurs de fonds internationaux rééchelonnent nos dettes. L’invocation du ciel pour la préservation des emplois…tout cela est, en définitive, en deçà des attentes des Tunisiens. Et, puis, bien sûr, ce couvre-feu, demi-mesure qui ne résout rien et, particulièrement au niveau des transports. Plutôt, c’est l’effet contraire qui se produit. Au final, c’est comme si le Président nous proposait de vivre d’amour et d’eau fraiche.
Sournoiseries parlementaristes
En fait, le moment est très mal choisi pour que, tels les félins, les trois pouvoirs tracent leurs territoires respectifs.
Au moment où, Elyès Fakhfakh, véritable Chef de l’exécutif, essaie de prendre la dimension de la pandémie, le statut Facebook de Tarek Fettiti, deuxième vice-président de L’ARP, est tout simplement scandalisant. Fettiti, pourtant connu pour son sens de la mesure, a choisi ce moment précis pour démentir Fakhfakh : il affirme que, contrairement à ce qu’il dit, le Chef du gouvernement n’a pas consulté le Président de L’ARP. On voit mal, et ce n’est pas pour le défendre, Fakhfakh mentir au peuple.
La vérité est tout autre : c’est la sempiternelle querelle des égos. On sait, et on l’a, à maintes fois, mentionné que, depuis les dernières élections, Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi se livrent à « une guerre de légitimités ». Et cette guerre décline, maintenant, en affrontement frontal entre Ghannouchi et Fakhfakh, dès lors que le Président de L’ARP considère que le Chef du gouvernement est l’extension du bras du Président. A chacun sa lecture constitutionnelle de la nature du régime dans lequel nous sommes. Or, la lecture de Ghannouchi est extensive. Elle déroge aux principes mêmes du parlementarisme. Le Parlement, c’est universellement pratiqué, légifère, contrôle l’exécutif. Le Président a qualité pour proposer des projets de lois. Mais les leviers de commande et de la gouvernance sont aux mains du Chef du gouvernement. Aucun texte ne le soumet à la contrainte de devoir, à la minute près, demander son avis au Président du Parlement sur les questions organiques, inhérentes à la marche du gouvernement.
Déjà, le gouvernement s’est vu refuser le vote sur la ZLECA (la zone de libre-échange à l’échelle continentale) qui est, pourtant aussi, l’avenir de la Tunisie. Faute de quorum, a-t-on rétorqué du côté du Bardo. Belle litanie. Et s’il entreprend de remodeler la loi de finances 2020, pour accroître le budget de la Santé publique, en raclant dans ceux de quelques autres secteurs, il fera face à une levée de boucliers.
En cette période de grands périls, tout retombe sur les épaules de Fakhfakh. Parce que le temps n’est plus aux tergiversations. Parce que, justement, il y a une demande d’etat. Un Etat-providence.