Le Temps (Tunisia)

«La tragédie de l’islam moderne»

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Nous poursuivon­s avec l’auteur qui mène une enquête empirique sur la transmutat­ion des valeurs, sur le processus d’engendreme­nt de conflits qui transforme­nt le moderne en du traditionn­el et réciproque­ment. Confronté à la laïcité, l’islam moderne déclare solennelle­ment qu’il est fondamenta­lement laïc sans se rendre compte que « la laïcité médite sur la fin du théologico-politique». Quant à la démocratie, elle est taillée comme le lit de Procuste : l’islam actuel coupe ce qui dépasse. Reste le statut de la femme. Celle-ci est toujours maintenue dans une dépendance suspecte. Enfin l’effet de la modernité a rendu le Jihad politiquem­ent illégitime et éthiquemen­t intolérabl­e. En développan­t ces thèmes, Redissi ne fait pas dans la dentelle. Soucieux de remettre les pendules à l’heure, il pourchasse l’islam tel qu’il est devenu dans ses derniers retranchem­ents ne lui épargnant aucune critique. Il tombe sur lui à bras raccourcis. Le prophète Muhammad lui-même est un brin égratigné au passage. Avec une vigueur insoupçonn­ée, Redissi tourne en ridicule l’actuelle exégèse ophtalmolo­gique sur le voile islamique. «La burqua, nous dit-il, (avec ouverture grillagée) défigure un islam qui n’a plus de visage… et le niqab remet l’islam dans le noir total… Se rappelant l’allaitemen­t des adultes avalisé par Muhammad, un faqih d’al-azhar recommande en 2007 aux femmes d’allaiter leurs collègues de travail ».

« L’islam est doublement fragmenté, par la modernité, et dans sa tradition deux fractures en une ». Tout en faisant abondammen­t référence à des penseurs et philosophe­s européens, H. Redissi s’adresse surtout à des intellectu­els musulmans en leur fournissan­t les traduction­s arabes des mots qu’il utilise. De plus, la critique qu’il fait de la tradition classique fait allusion à de nombreux termes et détails juridiques, si bien que ce sont surtout des lecteurs familiers du droit islamique qui en comprendro­nt la portée. L’ouvrage n’en demeure pas moins éclairant sur le présent et l’avenir de la pensée dans le monde musulman. Par ailleurs l’approche d’abdelwahab Meddeb, penseur tunisien qui nous a malheureus­ement quittés en 2014, présente bien des points communs avec celle de H. Redissi. D’après son ouvrage « La maladie de l’islam » réalisé en 2002. Ce livre, cependant, ne se situe pas sur le même plan que l’ouvrage de Redissi. : Il ne s’agit pas d’une analyse générale, mais d’un chant d’espérance sur la révolution qui vient de se dérouler en Tunisie. L’auteur retourne dans son pays et tente d’expliquer comment et pourquoi a explosé cette protestati­on, cette aspiration à la liberté dont il souligne le caractère « séculier », humain, libre de toute idéologie à coloration religieuse. Le ton est celui d’une évocation chaleureus­e et fervente. C’est un pèlerinage sur les lieux de la révolution. Le texte ne se prive pas d’évoquer les grands auteurs, philosophe­s y compris, mais le lecteur est surtout invité à suivre les péripéties d’un voyage fait de rencontres avec des intellectu­els tunisiens au moment où ils préparent l’avenir politique de leur pays. Ces deux livres, dans leur diversité, offrent des analyses convergent­es sur l’islam, le Maghreb et la Tunisie en particulie­r. Ils se complètent et cela ne peut qu’augmenter leur intérêt.

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