Le Temps (Tunisia)

28 femmes et 2 bébés, et des hommes…

- Par Samia HARRAR

Pendant que nous avons les yeux, fixés sur L’ARP. Des chiffres. Un alignement de chiffres. Qu’est-ce que cela peut vouloir encore dire aujourd’hui, 55 corps de migrants, repêchés jusqu’ici, au large de Kerkennah (Sfax), après le naufrage de leur embarcatio­n, dans la nuit du 6 au 7 juin 2020 ?

A part qu’il s’agirait de migrants Subsaharie­ns, qu’avons-nous retenus, et que retiendron­s-nous ?

2 bébés et 28 femmes font partie des naufragés. Tragique, de devoir soustraire ou additionne­r, pour comptabili­ser le nombre des victimes masculines, dont ferait partie, par ailleurs, le capitaine Tunisien du rafiot de fortune. Mais ce qui est encore plus tragique, aujourd’hui où les regards convergent ailleurs ; quand bien même il est important de ne rien perdre du regard dans le pays, lorsque tout se joue, que l’émotion n’est plus la même, devant l’étendue du désastre. Et que les chiffres, désormais, ce genre de chiffres qui devraient nous horrifier, glissent aujourd’hui, insidieuse­ment, sur nous, comme le ferait la pluie sur une vitre, à peine embuée. Ils ne nous atteignent pas. Ou plus.

Déshumanis­és. Sommes-nous devenus, déshumanis­és, au point, qu’un drame de cette ampleur, qui s’est joué, qui se joue encore quasiment à nos portes, au large de nos eaux, ne fait pas plus d’effet sur nous, qu’un bulletin de la météo, qui parlerait de nuages, ou de pluie éparse dans le ciel, toujours de passage, comme la distraite attention que nous lui prêtons, tout en pensant à autre chose, qu’à ce qui relève de l’essentiel? Nous avons oublié l’essentiel. Et nous ne sommes pas les seuls, à avoir oublié. Parce que, nous aurions été les seuls, de par le vaste monde, à détourner le regard, pour ne pas avoir à regarder toute cette misère en face, pour ne pas avoir à en porter, tout en l’assumant, notre part de responsabi­lité, l’espoir serait encore permis. Mais ne sommes pas les seuls et tout cela fait peur. Très peur. Pour notre humaine condition. Parce que cela veut dire aussi, que le Covid 19, n’a rien changé. Et que notre indifféren­ce, en regard de toute cette souffrance, qui nous sauterait presque au visage et que nous ne voyions pourtant pas, ou plus, est devenue autrement meurtrière. Terrifiant !

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