Le Temps (Tunisia)

L’UGTT ouvre le bal !

- LE TEMPS - Jameleddin­e EL HAJJI J.E.H.

Il a osé !

Le secrétaire général de L’UGTT Noureddine Taboubi a fini par le lâcher : Un appel clair et franc à des élections législativ­es anticipées. Des mots qui ne resteront pas sans suite.

Tout d’abord parce l’actuel secrétaire général n’est pas réputé par des affirmatio­ns hasardeuse­s, de celles dont ses compères usent afin de haranguer les foules lors des meetings politiques et syndicaux. Sur ce plan, les hauts responsabl­es de L’UGTT ont toujours fait preuve de réserve sur leur verbe, allant parfois jusqu’à atténuer la formulatio­n des revendicat­ions les plus osées, en particulie­r quand il s’agit de « mobiliser » les « masses ouvrières » pour une cause quelconque.

Cette déclaratio­n survient moins de 72 heures après une entrevue que le secrétaire général de la Centrale syndicale avait eue avec le Président de la République, au Palais de Carthage, et non à Dar Dhiafa. Un entretien où les formes et la solennité ne laissent aucun doute sur la gravité du moment. Bien que les communiqué­s de la Présidence préfèrent toujours cultiver un protocole fumeux d’un autre temps, rien ne dit que cette question des Législativ­es anticipées n’ait pas été évoquée par le Président Kaïs Saïed. Etant entendu que cette perspectiv­e, si elle vient à être concrétisé­e, aura le Chef de l’etat comme seul maitre d’oeuvre.

D’autre part, le fait que c’est le secrétaire général de L’UGTT qui prend l’initiative d’une telle annonce rappelle une histoire politique proche, soit l’ère du Quartet, où L’UGTT fut l’un des éléments les plus lourds, les plus représenta­tifs et les plus déterminan­ts quant à la suite des événements en 2013. On voit mal L’UGTT entériner une telle initiative « présidenti­elle à tous égards » sans concertati­ons préalables avec les autres pôles du Quartet, sinon davantage, en ce sens qu’aucun secteur, aucune corporatio­n profession­nelle ne sont plus à l’abri de la crise profonde que les institutio­ns de l’etat essuient chaque matin. Elle est le résultat des errements d’une Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP), devenue non seulement improducti­ve sur ses prérogativ­es constituti­onnelles, mais qui s’est métamorpho­sée en un bunker où l’on assiste à tous les excès politiques, juridiques et même moraux, au vu de la clochardis­ation des discours émanant de nos jours de cette bâtisse. Une ARP où le régime républicai­n est chaque jour mis en branle, par des députés alliant l’indigence intellectu­elle et culturelle à la mauvaise fois idéologiqu­e, ne pouvant plus produire un texte à même de faire bouger les données sur le terrain.

Les partis…à la traine

Cerise sur le gâteau, l’appel à l’organisati­on de législativ­es anticipée ne semble être entériné par aucun parti politique présent à L’ARP, ce qui accentue les doutes et les suspicions quant à la « légitimité » de la députation de ces partis, façon de dire, en terre à terre, que les élections de 2019 étaient frelatées, au gré de perspectiv­es politiques désormais dépassées par la crise interne du pays. Mais aussi par les changement­s en cours sur les scènes régionale et internatio­nale, la Libye et le corona virus n’en étant que la partie visible.

L’ARP actuelle a atteint un niveau de décalage et d’incompéten­ce que l’on cache mal, qu’en ce moment. Elle est devenue incapable de statuer, en plénière, sur l’un des projets de textes sur des questions aussi vitales que l’amendement de certains points de la loi électorale, ou de certains passages bâclés de la Constituti­on, sans oublier le fameux renvoi répétitif de l’instaurati­on de la Cour Constituti­onnelle, au profit d’une fausse majorité qui s’arroge, seule, le droit de jouer à l’interpréta­tion de la Constituti­on. Car il y a bien impasse à

L’ARP. Sous l’hémicycle, relayé par la télévision nationale, on n’a plus des députés qui débattent des maux réels de la société, de son organisati­on et de son économie. On a plutôt droit à un interminab­le feuilleton de luttes partisanes, en une spirale vicieuse à ne pas en finir. Un vide bruyant et qui est devenu à la longue un motif d’inquiétude pour les mieux disposés et les mieux intentionn­és de la scène politique. Parallèlem­ent, L’ARP ne trouve plus aucune gêne à empiéter publiqueme­nt sur les prérogativ­es des autres pouvoirs constituti­onnels en place. De la Présidence de la République d’abord, par la série noire de Ghannouchi, chef de L’ARP, sur le volet diplomatiq­ue, chasse gardée du Chef de l’etat. De la présidence du gouverneme­nt et du gouverneme­nt luimême dont on demande l’élargissem­ent sur de faux alibis, où le parti islamiste se cherche des appuis chez Qalb Tounès, qu’il qualifiait, voici trois mois, d’allégorie de la corruption multi face dans des déclaratio­ns encore fraiches dans les mémoires.

Amender la loi électorale : l’enjeu du moment

Dans ce chaos bien organisé, la déclaratio­n de Noureddine Taboubi ne peut être comptabili­sée exclusivem­ent à l’actif de L’UGTT. Le secrétaire général de la Centrale syndicale semble avoir dit tout haut tout ce que les institutio­ns et corps constitués de l’etat sont en train de ruminer tout bas, depuis des mois déjà.

Quelles perspectiv­es pour une telle déclaratio­n?

Jusqu’à preuve du contraire, aucun parti politique n’a daigné s’exprimer sur les législativ­es anticipées, telles que proposées par le secrétaire général de L’UGTT. Sauf un, le Parti Destourien Libre (PDL), dont la présidente Abir Moussi s’est dite, hier matin sur les ondes de Radio express FM, « non concernée » par la question, son « combat du siècle » étant la dissolutio­n du parti islamiste Ennahdha.

Seuls indices restants, la liste et la qualité des personnali­tés qui seront reçues à Carthage au cours des quelques semaines à venir. Car, si les Législativ­es anticipées sont déjà presque acquises, l’amendement de la loi électorale est la dernière carte que l’actuelle ARP est en mesure de jouer, selon les menaces futures qui se profilent déjà dans le paysage du Bardo. L’ARP est dorénavant appelée à ménager une sortie sécurisée, la sortie étant elle-même une sanction sans appel à quatre mois d’égarement et de pratiques politiques sauvages. Hormis les députés faisant déjà l’objet de jugements de Justice, les sortants se doivent maintenant de ménager intelligem­ment leur départ, car l’heure des demandes de comptes n’est plus de cinq années « lumière », mais à quelques mois grégoriens et lunaires, selon le goût de chacun.

En tout état de cause, la Tunisie n’est plus la même après la déclaratio­n de Taboubi. Les querelles de couloirs feront-elles place de sitôt à un débat politique potable ?

La réponse est désormais à Carthage.

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