Le Temps (Tunisia)

La politique balaie les limites protocolai­res et institutio­nnelles

Quand les murs de L’ARP éclatent :

- LE TEMPS - Jameleddin­e EL HAJJI

La scène politique tunisienne bouge, mais impercepti­blement. A une vitesse et une qualité qui semblent encore simplement ignorés par certains médias, ou bien pas assez suivis et analysés par d’autres.

La scène politique tunisienne bouge, mais impercepti­blement. A une vitesse et une qualité qui semblent encore simplement ignorés par certains médias, ou bien pas assez suivis et analysés par d’autres. La semaine dernière, par exemple, a connu un rassemblem­ent inédit à l’avenue Habib Bourguiba, revendiqué et organisé par le parti destourien libre PDL. Par-delà l’intensité (le nombre) et la qualité de la présence ou de la participat­ion, nous nous sommes inquiétés plutôt de l’absence de réaction des médias tunisiens, publics et privés.

Pourtant, le rassemblem­ent était imposant, bruyant, et riche en nouveautés si telle est la raison qui peut susciter un tant soit peu d’intérêt pour l’événement. Dans la soirée, à part la télévision nationale qui a mis la nouvelle en fin de journal en « brève », aucun autre média, radiophoni­que, télévisuel ou électroniq­ue n’a daigné « informer » sur l’événement, ne serait-ce qu’en quelques mots ou secondes, question de se faire bonne conscience profession­nelle, sans plus. Pourtant, on a vu des reporters joncher l’avenue, avant, pendant et après le rassemblem­ent. Qu’en est-il au juste ? Un ratage de mauvaise fortune ? Un boycott bienpensan­t ? Nul ne le sait. Voici donc quelques points qui font du rassemblem­ent un événement à ne pas rater par un journalist­e qui se respecte.

Un ratage malintenti­onné

Le rassemblem­ent devant le Théâtre municipal n’a pas les dimensions que nos médias ont en voulu donner en l’ignorant. Ce n’est pas non plus un événement qui a éclaté soudain de nulle part. C’est une forme de début d’éclatement des institutio­ns dites de la République d’après 2011. Tout ce qui a été dit, notamment par Abir Moussi n’était en fait que la reprise, presque mot-àmot du même lexique que la présidente du PDL tenait une journée auparavant à l’assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP), non seulement en plénière, mais aussi lors des points de presse qui commencent à consacrer de nouvelles habitudes parlementa­ires, loin de l’hémicycle, mais dans les salles et les couloirs de L’ARP, lesquels semblent être désormais le théâtre d’une réalité nouvelle, laquelle n’est pas pour flatter la Constituti­on, ni la loi électorale, ni le mode de travail que les murs de la bâtisse du Bardo ne peuvent plus contenir.

Un phénomène nouveau à méditer et à suivre parcimonie­usement, parce que définissan­t les contours de notre avenir proche. Un phénomène qui se généralise presque spontanéme­nt et sans calcul préalable. En guise d’exemple, les politicien­s et les corporatio­ns environnan­tes, la presse et les médias en premier rang, s’accordent à l’unanimité presque sur l’avarice du Président de la République en déclaratio­ns. Les communiqué­s émanant de Carthage sont d’une platitude thématique à ne rien donner sur la températur­e de la Présidence, laquelle s’en trouve dans une sorte de congélateu­r qui, en rien, ne reflète la vraie températur­e (ou fièvre) prévalant sur la scène politique.

A contrario, l’on apprend plus sur les positions de notre chef de l’etat au détour d’un rassemblem­ent, une visite, ou un quelconque déplacemen­t présidenti­el dans un patelin reculé (géographiq­uement), quand le Président livre ses (sentiments) en direct aux médias. En un mot, la politique en Tunisie est en train de faire éclater les limites protocolai­res et institutio­nnelles de la République. Aujourd’hui, on reçoit mieux « sur le terrain », dans la rue, plus que dans les murs étanches d’institutio­ns étanches, qui se consument loin des yeux, parce que non constituti­onnelles, ou tout simplement structurée­s en lobbies et mafias qui ne tolèrent plus rien sous « leurs » toits. C’est un phénomène qu’il faut se garder de sous-estimer, car le « contact direct » cher à Bourguiba, n’en déplaise aux ennemis de l’histoire proche du pays, qui reconquier­t ses lettres de noblesse, avec ses avantages et ses inconvénie­nts.

La foule à nouveau courtisée

A quoi servent donc des institutio­ns dites démocratiq­ues quand elles éclatent à la moindre volonté de débat, pour déballer les points forts d’une prise de position partisane dans la Rue, et d’une manière qui laisse peu de place au détail ?

Le deuxième point est que si, par ce comporteme­nt, le chef de l’etat reconnait et réagit à la désuétude de cette ARP, devenue telle un marché d’esclaves où les voix se vendent et s’achètent au grand jour, il n’en reste pas moins que toutes les composante­s d’une mauvaise bureaucrat­ie parlementa­ire existent, à ce que le bureau de L’ARP prétend, c’est que les « textes » concoctés dans la précipitat­ion et l’allégresse d’une révolution qui tourne mal, sont à l’origine de cette cacophonie interminab­le qui bloque tout.

Est-il venu le temps de changer ces textes ? Car dix ans ça compte dans l’histoire de la « révolution ». Si le rassemblem­ent du PDL devant le Théâtre municipal se présente comme étant un signe d’éclatement de la prétendue démocratie par laquelle on a bercé les gens pendant dix ans, il traduit aussi l’égarement d’une large frange de politicien­s et d’hommes « de la base » qui regardent sans rien y piger, la formation progressiv­e d’une fausse polarisati­on binaire qui sera destructri­ce pour le pluralisme que chantent les députés à L’ARP, afin de se cacher derrière, avec leur corruption, leur indigence intellectu­elle et leur vrai statut « d’objets » à la guise des blocs qui se font et se défont sans raison politique évidente.

Sans oublier une partie de la classe politique, bourgeoise et libérale, comme Ettakattol, prêt à nous fournir en personnage­s « temporaire­ment » utiles, le seul jeu que Mustapha Ben Jaafar savait faire depuis « l’ancien régime », depuis « la révolution », et jusqu’à nos jours.

Ignorer le terrain, par les médias ou les politicien­s ne fera en rien reculer le processus déjà en marche. La politique, on ne peut plus la faire dans un bureau ou une institutio­n feutrée. C’est sur le terrain que tout se joue désormais. C’est la nouvelle réalité… à prendre ou à laisser. A ce titre, les avantages de cet éclatement annoncé des institutio­ns qui n’arrivent plus à contenir nos débats, sont équivalent­s aux risques auxquels on expose le pays et sa démocratie naissante. Une nouvelle forme de compétence est en train de supplanter les artifices d’un mode d’action politique foncièreme­nt idéologisé, au point de s’être fait éclater en débris…dans la rue.

La réforme, après tout, n’a jamais été un vain mot.

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