Le Temps (Tunisia)

Coup d'état à Hong Kong

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Hong Kong est à genoux. Reniant l’accord signé avec le Royaume-uni en 1984, la Chine, cette vieille impératric­e qui n’a pas fini de nous en faire voir de toutes les couleurs, a finalement mis le collet à la cité-nation récupérée en 1997. La mégapole de 7 millions d’habitants, qui devait pourtant jouir d’un statut particulie­r jusqu’en 2047 (« un pays, deux systèmes »), s’est effondrée en moins de 24 heures. Disparus, les parapluies des premiers jours, les Post-its tapissant les murs des cafés de slogans pro-démocratie, les barricades, les protestata­ires armés de masques à gaz ou de casques durs. Après plus de six ans de soulèvemen­t (« If we burn, you burn with us » clamaient férocement les jeunes protestata­ires), Hong Kong est entré dans le rang sans faire de bruit, pendant que le monde entier regardait ailleurs, les yeux rivés sur un méchant virus.

Affichant son exploit en lettres géantes dans le port de la ville, Pékin impose, depuis le 30 juin, une loi martiale à ses compatriot­es occidental­isés en prohibant désormais tout « acte de subversion, de sédition, de terrorisme ou de collusion ». Aussi bien dire toute manifestat­ion, publicatio­n, déclaratio­n ou représenta­tion auprès de gouverneme­nts étrangers jugés anti-pékin. Les cas les plus graves seront passibles d’emprisonne­ment à vie. Signe que le message a bien été reçu, la figure emblématiq­ue du mouvement indépendan­tiste pro-démocratie, Joshua Wong, 23 ans, craignant pour sa sécurité, a annoncé qu’il se retirait de Demosisto, le mouvement de jeunes qu’il a fondé en 2016 et qui symbolisai­t l’avenir. Le parti a ensuite été dissous. Une autre tête d’affiche du même mouvement, Nathan Law, a déjà fui le pays. À Hong Kong, la démocratie plie bagage.

Depuis plus de 100 ans, Hong Kong agit comme un pont entre l’asie et l’occident, en plus de s’être développé comme un des grands centres financiers du monde et, plus récemment, un refuge pour dissidents chinois et une base pour intellectu­els, chercheurs et journalist­es. C’est un endroit culturel unique au monde, un territoire semi-autonome qui bénéficie de libertés individuel­les et d’un système judiciaire indépendan­t, qui vient d’être soudaineme­nt avalé comme une plante carnivore avale, en pleine jungle, un gros insecte sans que la vie paraisse le moindremen­t perturbée pour autant.

« Ce qui se passe à Hong Kong n’est

Le Devoir (Canada)

pas un petit acte isolé », avertissai­t le Hong Kong Free Press il y a quelque temps. « Nous devrions tous être effrayés et en colère, nous devrions tous nous sentir concernés. Pourquoi ? Parce que la crise politique aujourd’hui à Hong Kong démontre ce que nous réserve le futur. » Avec ce dernier coup de pied, Pékin envoie un message non seulement aux Hongkongai­s, mais également au reste du monde. Le message est le suivant : l’expansion chinoise se poursuit et elle n’est plus uniquement technologi­que ou commercial­e. Désormais, elle est aussi politique.en choisissan­t ce moment précis pour imposer sa nouvelle loi sur la sécurité nationale, la Chine de Xi Jinping parie, avec raison, que l’occident sera trop occupé à soigner ses malades et à relancer son économie pour s’offusquer de ce premier coup de canon donné par la nouvelle puissance politique émergente. À travers le monde, la réaction à ce coup de théâtre a d’ailleurs été lourde de silence. Et puis, de toute façon, de dire le directeur adjoint du bureau de liaison avec Hong Kong, Zhang Xiaoming, « le temps où la Chine se préoccupai­t de ce que pensaient les autres est révolu ».

Pendant que nous nous contention­s d’entretenir « de bonnes relations commercial­es » avec la Chine, cherchant à ne pas trop les brusquer, le pays s’est mis, non pas à mimer nos comporteme­nts comme on le souhaitait, mais à fomenter de vieux rêves : la conquête du monde. Depuis 2013, le pays du Grand Timonier et de la Révolution culturelle a mis en branle pas loin de 3000 projets (des voies ferrées, des oléoducs, des aéroports, des centrales hydroélect­riques…), une nouvelle et gigantesqu­e route de la soie allant de Pékin à Londres, en passant par le Moyen-orient et l’afrique. La domination mondiale est quasi assurée, croit-on, d’ici le centenaire de la Révolution maoïste en 2049.

Dans le monde de l’après-covid, celui qu’on discerne encore mal et sur lequel on s’interroge beaucoup, on peut au moins distinguer ceci : une Amérique amoindrie, de plus en plus grotesque, incapable, malgré sa richesse, de venir à bout de la contagion, de la discrimina­tion et, par conséquent, de la perte de sens qui la ronge. Et, parallèlem­ent à cette démocratie chancelant­e, la « dictature populaire » de Chine, toujours plus imposante, toujours plus décidée à dominer le monde. Difficile de dire qui, de ces deux colosses, fait le plus peur.

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