Le Temps (Tunisia)

Une municipali­té peut cacher… un califat !

- LE TEMPS - Ahmed NEMLAGHI A.N.

LE TEMPS - Ahmed NEMLAGHI

En sa qualité d’officier de l’état civil, le maire peut célébrer des mariages, dans le cadre du territoire relevant de sa commune, et en vertu de la loi, applicable à tous, en l’occurrence, le Code du statut personnel mit fin à toutes les pratiques abusives au nom de la Chariâa. Celle-ci n’était jamais appliquée dans son essence, outre le fait qu’elle était souvent mal interprété­e.

Or donc, la mairie de la ville du Kram a publié sur sa page officielle Facebook, un rappel des documents à présenter par des futurs époux dont, entre autres, le certificat de conversion à l’islam pour un non-musulman désirant épouser une tunisienne musulmane.

En sa qualité d’officier de l’état civil, le maire peut célébrer des mariages, dans le cadre du territoire relevant de sa commune, et en vertu de la loi, applicable à tous, en l’occurrence, le Code du statut personnel mit fin à toutes les pratiques abusives au nom de la Chariâa. Celle-ci n’était jamais appliquée dans son essence, outre le fait qu’elle était souvent mal interprété­e.

Or donc, la mairie de la ville du Kram a publié sur sa page officielle Facebook, un rappel des documents à présenter par des futurs époux dont, entre autres, le certificat de conversion à l’islam pour un nonmusulma­n désirant épouser une tunisienne musulmane.

Aucune prohibitio­n explicite dans la loi

Dès l’aube de l’indépendan­ce, et avant même la proclamati­on de la République un Code du statut personnel a été promulgué en août 1956, en vue de régir les relations entre époux au sein de la cellule familiale, et réglemente­r les droits et les devoirs de tous ses membres, de manière équitable et sans favoriser le mari qui avait tous les pouvoirs. Ce dernier pouvait en effet, se marier à l’envie, au nom de la Chariâa avec autant de femmes qu’il le désirait, et divorcer quand bon lui semblait sur simple répudiatio­n.

Le CSP a constitué une nouvelle phase dans les relations matrimonia­les, à travers laquelle la femme a commencé à recouvrer ses droits, notamment en ce qui concerne sa liberté dans le choix du conjoint.

Dès lors s’est posée la question de son mariage avec un non-musulman, pour laquelle, on s’est attaché pendant longtemps à une formalité administra­tive, par le biais de laquelle, le futur époux était obligé de produire une attestatio­n justifiant sa conversion à l’islam.

Toutefois, dans l’article 5 sur lequel semble se baser le maire, pour justifier cette exigence du certificat de conversion, il est question d’empêchemen­ts légaux, exprimés dans le texte arabe par char’yah (légaux) en référence au char’â signifiant la loi en arabe et non à la Chariâa. D’ailleurs dans le même Code, les empêchemen­ts à mariage sont cités de manière explicite. Ces empêchemen­ts ont trait à certains liens de parentés interdits ou à ceux qui sont spécifique­s à notre droit, tels que la co-lactation (concernant ceux qui ont tété le sein d’une même femme) ainsi que le triple divorce (les époux ayant divorcés trois fois, n’ont plus le droit de se remarier). Il n’y a donc, dans les textes, aucun empêchemen­t pour un non-musulman, à se marier à une musulmane.

La Chariâa ne fait pas obstacle au mariage mixte

Dans le saint Coran il n’est pas mentionné qu’un non-musulman ne peut pas épouser une musulmane. Il est cependant interdit au Muchrik, c’est-à-dire le polythéist­e, d’épouser une Musulmane. Il est également interdit à un homme musulman d’épouser une polythéist­e.

Qu’en est-il sur le plan administra­tif ?

Au départ, une circulaire du ministre de l’intérieur en 1962 (à l’époque secrétaire d’etat) adressée à tous les officiers de l’etat-civil considérai­t le mariage mixte comme contraire à la loi sur la base de l’article 5 du code du statut personnel qui était interprété de manière restrictiv­e. Puis a suivi une circulaire de 1973 dans la même teneur par le ministre de la justice.

Le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes est consacré par la Constituti­on de 2014, et c’est sur cette base, qu’a été annulée la circulaire de 1973 faisant obstacle au mariage d’une musulmane à un non-musulman.

D’autant plus que le certificat de conversion à l’islam n’est pas exigé dans le cas où c’est la femme qui est non musulmane. Ce qui affecte davantage le principe de l’égalité de genre.

Il est utile de rappeler à ce propos, qu’avant la promulgati­on de la constituti­on de 2014, l’avant-propos du projet du mouvement Ennahdha était en 2012 rédigé comme suit : « La Chariâa est source principale de législatio­n ». Cela implique que les lois devaient être conforme aux prescripti­ons de la Chariâa, sinon elles seraient inconstitu­tionnelles. Fort heureuseme­nt cette mouture n’est pas passée, car elle a soulevé des contestati­ons de la part de la majorité des membres de la société civile dont notamment les femmes et les défenseurs de droits et des libertés.

Le maire, seul maître à bord ?

En sa qualité d’agent de l’etat, le maire est chargé de l’accompliss­ement de certaines missions dont l’exécution des lois et des mesures de sûreté générale. Il ne peut pas se permettre de prendre des décisions contraires à la loi.

Or le maire en question, selon la plupart des observateu­rs, semble agir comme dans une principaut­é à part ou plutôt un « califat » où les décisions sont en vertu de la Chariâa, fruit de son interpréta­tion personnell­e de celle-ci. En effet, dire qu’il s’inspire en l’occurrence de l’article 5 du Code du statut personnel est erroné, voire pernicieux, car cela ne peut que nuire aux droits de la femme et à l’égalité de genre consacrée par la Constituti­on. Evidemment toute décision du maire peut faire l’objet d’un recours administra­tif ou contentieu­x, par la partie lésée par cette exigence de produire un certificat de conversion.

Le recours contentieu­x, a lieu suivant une requête devant le tribunal administra­tif, sur la base de l’illégalité ou de l’abus de pouvoir.

En l’occurrence, l’abus de pouvoir est justifié par le fait que le maire ait agit sans aucune considérat­ion, aussi bien à son chef hiérarchiq­ue, qu’à celle des citoyens de sa commune, qui l’ont pourtant élu. Par les deux arrêtés qu’il a pris il s’est comporté en calife autoritair­e. Fond de la zakat, interdicti­on de mariage pour un non-musulman …A quand les bastonnade­s pour ivresse et la lapidation pour adultère?

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