«Depuis quand les Nègres sont des artistes ! ?»
Latifa Letifi est artiste marionnettiste, qui a commencé dans cet art en 1995. Elle est, également, femme de média. Que ce soit dans un domaine ou dans l’autre, elle a été victime de racisme, puisque Latifa Letifi est une Tunisienne noire qui s’est entendu dire «Depuis quand les Nègres sont des artistes ! ?» ! Sans compter, les actes de harcèlements sexuel et surtout moral qu’elle a subis. Tout cela parce qu’elle réclame ses droits. Et elle ne fait pas dans la victimisation ! Son histoire telle qu’elle nous l’a racontée...
«Est-ce que je me suis créée noire ! ? Si j’avais été une Tunisienne blanche, il ne me serait jamais arrivé ce qui m’est arrivé !», nous a lancé Latifa Letifi, artiste marionnettiste et femme de média. C’est sans jouer dans la victimisation, mais en tant que victime de racisme qu’elle s’est dévoilée à nous.
Son histoire avec le Centre national des Arts de la marionnette (CNAM) commence en 1995, à l’époque de Moncef Belhaj Yahia. «J’ai postulé suite à l’appel à candidature pour de nouveaux marionnettistes. J’y ai fait un an de stage puis il y a eu recrutement. Nous n’avions pas de fiche de paie mais nous avions le droit à un salaire fixe remis en main propre et à la CNSS. C’était la meilleure des périodes que j’ai connues au CNAM. Nous avons participé à différents festivals. Moncef Belhaj Yahia était un travailleur acharné. Il respectait les artistes. Grâce à lui, l’art de la marionnette est devenue une véritable passion pour moi», nous a déclaré Latifa Letifi avec une once de nostalgie et d’amertume dans la voix, au vu de ce qui va lui arriver après.
De Mokhtar...
Parce qu’après Moncef Belhaj Yahia, l’artiste va tomber de Charybde en Scylla, pour ne pas écrire de Mokhtar Louzir à Hassen Sellami. Latifa Letifi a continué avec le Centre national des Arts de la marionnette jusqu’à l’arrivée de Mokhtar Louzir, avec lequel elle a obtenu le rôle de Balkis dans la pièce «Le jeu». Tout aurait pu continuer ainsi mais l’artiste n’a pas supporté les malversations administratives qui pourrissait le centre, d’autant plus que le directeur se moquait totalement des droits de ceux qui y travaillaient. «J’ai porté plainte contre Mokhtar Louzir auprès du ministère de la Culture, en pensant y trouver mes droits. Quand il a appris ce que j’avais fait, Mokhtar Louzir m’a dit ‘’Tu as porté plainte à qui ? N’oublie pas que c’est le ministère qui m’a nommé !’’. A partir de ce moment, nous sommes restés en discorde lui et moi. En 1998, il m’a remercié sans aucun prétexte. J’ai, de nouveau, porté plainte au ministère, au bureau des relations avec le citoyen, etc. Mais rien n’y a fait !». Mokhtar Louzir qui sera aussi le responsable de sa non-intégration à la télé tunisienne, puisqu’il était responsable du programme jeunesse...
Latifa Letifi ne va pas perdre espoir. Elle va continuer ses études et travailler avec des troupes privées. C’est en demandant sa carte professionnelle d’artiste avec tout le feed-back qu’elle a qu’elle reçoit une claque magistrale : «J’ai fait une demande pour obtenir ma carte professionnelle avec tous les documents et attestations demandés. On m’en a refusé l’attribution sans m’en donner les raisons malgré mes maintes demandes. J’ai parlé de mon cas à Jamel El Aroui, l’actuel président du syndicat national indépendant des professionnels des arts dramatiques. Il est intervenu pour connaître la raison de ce refus. On lui a répondu ‘’ Depuis quand les Nègres sont des artistes et depuis quand on leur donne une carte professionnelle ?’’. Du côté de la direction du théâtre, la responsable, Najet Janette a lancé ‘’Mais c’est quoi son niveau ? C’est juste une couturière !’’. Alors que j’ai un diplôme de technicienne supérieure en habillement et costume».
… à Hassen
Après un parcours du combattant qui a demandé de très gros efforts, Latifa Letifi obtient sa carte professionnelle. Mais, ses ennuis ne s’arrêtent pas pour autant. Après les changements de directeurs au CNAM. Elle rencontre Héla Ben Saad et lui parle de son cas. Celle-ci lui a promis d’étudier mon dossier, mais, entre temps, elle est nommée déléguée de la culture à Monastir. Héla Ben Saad est remplacée par Hassen Sellami, déjà en place au CNAM mais à un autre poste. «J’ai pris attache avec Hassen Sellami, une personne pourrie jusqu’à la moelle, il n’a pas d’autres mots, et cela je vais m’en apercevoir assez vite. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de place et qu’il préférait prendre des ressortissants de L’ISAD, malgré toute l’expérience que j’ai accumulée».
Latifa Letifi n’en s’avoue pas vaincue. Un événement va la pousser à contacter Habib Essid, alors chef du gouvernement. En effet, un casting a lieu à la télé nationale pour un feuilleton. Elle dépose sa candidature, et restant sans nouvelle, elle contacte les responsables à travers Facebook. Elle se voit répondre : «Le feuilleton n’a pas besoin de Noirs !». «C’est à ce moment que j’ai vraiment pris conscience du racisme en Tunisie. J’ai fait des captures d’écran que j’ai publiés sur la page de Habib Essid. Le soir même, le chargé de communication m’a contactée pour un rendez-vous à la Kasbah».
Latifa Letifi pense que ses ennuis sont finis. Et bien que nenni ! A la Kasbah, elle devait rencontrer le chef du gouvernement, qui était en déplacement. On la met en contact avec une autre personne. «Cet homme, qui soi-dit en passant est un ami de Hassen Sellami, l’a contacté pour lui dire que mon cas était suivi par le chef du gouvernement et qu’il fallait me trouver une solution, même un contrat à durée déterminée».
De comédienne à femme de ménage
«Hassen Sellami m’a fait tout faire au CNAM : de comédienne à femme de ménage, avec tout mon respect pour ce métier, en passant par formatrice dans des ateliers». Continuant sur sa lancée, Latifa Letifi nous a raconté comment pour se débarrasser d’elle et après qu’elle l’ai remis à sa place suite à une tentative de harcèlement sexuel, il l’avait accusée de fraude à la signature et lui a fait du harcèlement moral et matériel : «Hassen Sellami nous faisait des contrats ‘’illégaux’’. Quand nous touchions des rémunérations par exemple pour une prestation dans un atelier, nous devions reverser la plus grande partie au CNAM. Si nous avions 150 dinars, nous devions lui donner 100 dinars. Un jour, j’ai animé un atelier à la Cité des Sciences. J’ai signé le contrat à mon nom et ait reçu le chèque à mon nom. Ceci ne lui a pas plus et il a fait un rapport qu’il a adressé à l’inspection du ministère des Affaires culturelles m’accusant d’avoir imité sa signature et d’avoir divulgué les secrets du CNAM à Héla Ben Saad, ajoutant au rapport des témoignages d’employés du centre. Ceux-ci m’ont avoué bien plus tard qu’il leur avait fait du chantage : soit ils apportaient un faux témoignage soit il ne le renouvelait pas leur contrat». Il est à noter que ces faux témoins sont, actuellement, entrés en «guerre» contre Hassen Sellami. Nous avons, également, appris que ce dernier continuait à pratiquer le chantage au contrat sur des contractuels afin qu’ils apportent de faux témoignages contre une autre personne.
Finalement, Latifa Letifi a apporté la preuve qu’elle n’avait jamais imité la signature de Hassen Sellami. Ce dernier a refusé de lui renouveler son contrat. L’artiste a porté l’affaire au syndicat. Bizarrement, celui-ci s’est retrouvé, comme par magie, au conseil administratif du CNAM. No comment !
En 2017, la marionnettiste a été dégagée par Hassen Sellami sans aucun raison alors qu’elle travaillait sur «Le renard a dit». Elle décide de créer sa propre société de production afin de pouvoir continuer dans le domaine des arts de la marionnette, dont les deux créations n’ont pas trouvé bon écho à la direction du théâtre. Serait-ce pour les marionnettes noires ? «J’ai essayé de dépasser ce racisme à travers mes créations en y intégrant des marionnettes noires. Les enfants les ont adorées ! Lors de la représentation de ma pièce ‘’Le voleur de couleurs’’, un enfant s’est écrié : ‘’Maman, regarde comme elles sont belles! Elles ne sont pas comme les Noirs dont tu me parles !».
Des rendez-vous «ratés»
Ce racisme, Latifa Letifi ne l’a pas uniquement rencontré dans le milieu de la culture. Dans les médias aussi. En 20102011, elle intègre la chaîne «Tounesna» avec une rubrique dans la matinale. Elle a failli ne pas y officier : «Quand j’ai déposé ma demande pour y travailler, il y avait un animateur très connu, qui y était directeur de production. Il n’a pas voulu me prendre prétextant que cela ne lui plaisait pas d’ajouter un projecteur, sous-entendu à cause de ma couleur de peau. Il a fait son possible pour me casser. Heureusement que Si Abdelhamid Ben Abdallah, que je remercie énormément, a insisté sur mes capacités, l’a obligé à ajouter un projecteur et à m’intégrer à l’équipe de la matinale. Si Abdelhamid Ben Abdallah m’a toujours défendue !». Mais l’animateur très connu n’a pas voulu en rester là : «Je me suis rendue en Espagne en tant que journaliste pour couvrir un événement. Là-bas, je suis tombée malade et je n’ai pas pu revenir en Tunisie en temps et en heure. Lorsque j’ai pu rentrer au pays, on m’a signalé à la télé que je ne pouvais plus y travailler. J’avais pourtant envoyé un certificat médical. On m’a dit qu’il fallait d’abord que j’intègre mon poste à temps avant de pouvoir sortir en arrêt maladie (!?)».
Que dire quand une soi-disant chanteuse fait une remarque déplacée sur la couleur de peau ? «Lors d’une conférence de presse, Imen Chérif a voulu prendre une photo avec moi pour ‘’éloigner le mauvais sort’’. J’ai été choquée. Heureusement qu’une journaliste, Hanen, lui a passé un savon». Depuis sa déconvenue avec Mokhtar Louzir, Latifa Letifi attend, toujours, que sa situation se décante et ce n’est pas faute d’avoir écrit à tous les ministres de la Culture en poste depuis, aux chefs de gouvernement, etc. ! «A chaque changement de ministre, je renouvelais ma demande, pareillement pour les chefs de gouvernement. J’ai pu rencontrer certains ministres sur des festivals. Mehdi Mabrouk m’a demandé de passer à son bureau. Quand j’y suis allée, on m’a dit qu’il fallait prendre un rendez-vous. C’est ce que j’ai fait auprès de la secrétaire ; je n’ai jamais été rappelée. J’ai rencontré Latifa Lakhdar, Atef Ben Hassine, son conseiller. J’ai pris attache avec Mohamed Zinelabidine lors du festival international de Carthage, qui m’a demandé de voir avec sa chargée de communication Saïma Mzoughi pour un rendez-vous que je n’ai jamais eu. J’ai appris que cette femme faisait partie de la clique de Hassen Sellami».
Il semblerait que Mohamed Zinelabidine ait eu un certain penchant pour la ségrégation envers les artistes tunisiens noirs. En 2019, alors qu’il se savait sortant, cet ancien ministre des Affaires culturelles a décidé de mettre certaines personnes à l’honneur. Etrangement, il n’y avait aucun artiste, fonctionnaire ou employé du ministère noirs. «Pourtant, il y a des artistes tunisiens noirs : Achref Chargui, Sabri Mosbah, Jamila Camara, Ahmed Mejri, Hana Chaachoue, et j’en passe. Sommes-nous reconnus dans notre propre pays ? Pourtant, nous faisons partie de la société. Depuis l’affaire George Floyd, tout le monde veut parler sur le racisme», a conclu Latifa Letifi, sous-entendant que rien n’est fait concrètement. Finalement, le «je-m’en-foutisme» de certains hauts responsables donne raison à celui qui a dit «Depuis quand les Nègres sont des artistes ?», et Latifa Letifi attend toujours qu’on lui donne ses droits !