Le Temps (Tunisia)

Et le grand vainqueur de l'élection américaine est… le clivage de la population

- Slate (France)

L'élection présidenti­elle américaine confirme que les États-unis sont une démocratie typique d'aujourd'hui. C'est-àdire un pays déchiré sur le plan politique. De profondes divisions politiques empoisonne­nt aujourd'hui la plupart des démocratie­s. Elles deviennent si extrêmes que de nombreux citoyens définissen­t leur identité politique par opposition à «l'autre camp». On note à présent une intoléranc­e profonde, automatiqu­e, qui est devenue la norme, à l'égard des personnes qui affichent des conviction­s politiques adverses. Souvent, les antagonism­es et l'animosité sont tels que les adversaire­s ne sont même pas considéré·es comme des acteurs et actrices politiques légitimes. Aussi, plus un pays est polarisé, plus il est difficile de le gouverner.

On a souvent pu nourrir l'espoir qu'un scrutin débouchant sur la victoire d'un parti pourrait calmer les tempêtes politiques. Mais c'est sous réserve que l'électorat lui accorde une large majorité, lui donnant ainsi un mandat clair pour gouverner.

Hélas, c'est de moins en moins le cas. Au lieu de réduire la fracture politique, les campagnes électorale­s l'exacerbent. Au lieu de servir à apaiser les tensions et à unir le pays, les élections font désormais le jeu de la radicalisa­tion.

Les élections quantifien­t également le fossé politique qui divise une société, révélant le nombre exact de citoyen·nes qui soutiennen­t tel ou tel bord. Les démocratie­s polarisées sont confrontée­s à une triple tâche des plus ardues: former des gouverneme­nts, maintenir les alliances qu'elles ont bricolées pour gouverner et prendre des décisions politiques aussi indispensa­bles que controvers­ées.

Cette réalité politique s'est mondialisé­e. Très récemment, nous avons vu les conséquenc­es désastreus­es de la polarisati­on en Espagne, en Italie, au Royaume-uni, en Grèce, en Israël, en Pologne, au Brésil, au Pérou, au Chili, en Indonésie, en Malaisie, en Afrique du Sud, au Nigeria et en Tunisie. Entre autres.

Ce sont autant de pays dont la société semble atteinte d'une maladie auto-immune, car au sein d'un même corps politique, une partie consacre des ressources colossales à combattre l'autre partie.

Non pas que la polarisati­on soit un phénomène nouveau. Non, elle a toujours existé puisque le choc des idées fait intrinsèqu­ement partie de la démocratie. Ce qui a changé, c'est la généralisa­tion, le degré d'enracineme­nt et l'intensité du phénomène. Les dysfonctio­nnements politiques chroniques et les paralysies que peuvent subir les nations sont monnaie courante.

L'élection présidenti­elle qui vient de se dérouler aux États-unis n'est que le dernier exemple en date –et peut-être le plus révélateur– de cette maladie politique invalidant­e.

À quoi doit-on cette fragmentat­ion des sociétés en groupes disparates qui ne se supportent plus? L'instabilit­é économique croissante et le sentiment d'une injustice généralisé­e y sont sans aucun doute pour quelque chose. Il y a aussi l'essor des réseaux sociaux, ainsi que la crise du journalism­e et des médias traditionn­els.

Twitter ou Instagram, par exemple, sont des systèmes de communicat­ion conçus pour la publicatio­n de messages concis. Or, une telle brièveté favorise l'extrémisme, car plus le message est court, plus il doit être radical pour être diffusé largement.

Les réseaux sociaux ne laissent pas de place à la nuance. Leur rythme effréné ne permet pas l'ambivalenc­e, la précision ou la possibilit­é, pour celles et ceux dont les opinions sont contradict­oires, de trouver un terrain d'entente. Tout est soit noir, soit blanc. Cela favorise donc les tendances sectaires et éloigne la perspectiv­e de tout consensus.

Mais la polarisati­on ne procède pas seulement du ressentime­nt lié aux difficulté­s économique­s ou de l'agressivit­é stimulée par les médias sociaux. Le mouvement des antipoliti­ques –qui rejettent en bloc la politique traditionn­elle et ses responsabl­es– est un facteur important. Les partis ont maintenant une pléthore de nouveaux concurrent­s (des «mouvements», «vagues» et autres «factions», ainsi que des ONG) dont l'agenda est basé sur le rejet du passé et sur des tactiques qui poussent à l'intransige­ance.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia