« La culture n’est pas de défendre le droit de faire des concerts, ou des répétitions de théâtre…. »
La pandémie a mis le secteur culturel en Tunisie à rude épreuve. Des artistes et des professionnels des arts en sont conscients et nous nous emploieront à collecter leurs avis sur la question. Aujourd’hui, c’est Raja Farhat, dramaturge tunisien qui nous en parle.
La pandémie a mis le secteur culturel en Tunisie à rude épreuve. Des artistes et des professionnels des arts en sont conscients et nous nous emploieront à collecter leurs avis sur la question. Aujourd’hui, c’est Raja Farhat, dramaturge tunisien qui nous en parle.
Le Temps : La culture en temps de pandémie, est-ce un luxe ou une nécessité ?
Raja Farhat : Quand il s’agit de culture il ne s’agit jamais de luxe, la culture est un langage essentiel vital pour la société afin que les individus et les collectivités sachent comment réagir à ces grandes pandémies et à ces grands maux. Nous n’oublierons jamais que notre grand Ibn Khaldoun a vécu la peste à Tunis au 14ème siècle, et qu’il a du fuir le jour ou il s’est rendu compte que sa famille avait disparu et que ses professeurs avaient été anéanti par la peste qui a régné sur la ville de Tunis. Il s’est enfui vers l’algérie et vers le Maroc.
C'est-à-dire que notre histoire avec les pandémies et les grandes pestes est ancienne c’est celle la même qui a ravagé la France et l’europe, etc. Plus on est conscient de ces dangers par la culture par mieux on réagit collectivement. Il ne s’agit pas d’une action individuelle. Les individus, les collectivités et la communauté nationale doivent réagir de façon rationnelle et méthodique afin d’éradiquer la pandémie, afin de prendre les mesures nécessaires, et cela n’est possible qu’avec une intelligence collective que seule la culture peut fournir.
- Comment appréhendez-vous la pandémie en tant qu’intellectuel tunisien et croyez-vous que la situation solvable ou désespérée ?
En tant qu’intellectuel tunisien j’en parle quotidiennement avec ma famille et mes enfants en prenant les mesures nécessaires pour éloigner ce mal de notre maison de notre quartier et de notre famille.
C’est un souci majeur et personne ne s’y attendais. C’est aussi une épreuve qu’on peut surmonter avec intelligence et conscience. Nous avons appris l’histoire tragique d’une magistrate morte devant une clinique, le décès d’un grand professeur de sociologie, ou encore d’un ancien chef de cabinet du ministère des Affaires culturelles. Il y a aussi des comédiens des musiciens et des plasticiens qui meurent tous les jours victimes de cette pandémie dans des conditions affreuses… On a oublié par ailleurs que l’hygiène doit régner en maître absolu pour combattre cette pandémie… Les pays du nord qui maîtrisent mieux la situation parce qu’ils font de l’hygiène un acte de conscience collective.
- Quelle serait selon vous la meilleure stratégie à adopter sur le plan artistique et culturel, actuellement?
Informer, éduquer et réapprendre les règles de vie et de la survie parce que cette crise, selon les grands professeurs et spécialistes de la santé, n’est pas provisoire, et elle n’est pas passagère c’est une crise qui existera tant qu’on n’en a pas éradiqué les causes profondes. La culture doit soutenir ce besoin essentiel de vivre dans un environnement propre. - Selon vous quel serait le profil idéal du prochain ministre des Affaires culturelles ?
- Le ministre de la culture doit être un instituteur de la République. Le rôle sacré de l’instituteur est d’instruire. Le ministre n’a pas pour rôle de reporter des manifestations ou de les organiser mais bien plus. Il est investi d’une mission bien plus importante … Il faut aussi que les artistes vivent et il doit s’employer pour ce faire. Dernièrement un artiste m’a touché aux larmes en me confiant qu’il n’a pas allumé la cuisinière depuis des mois, parce qu’il n’a pas les moyens d’acheter des vivres à sa famille. Les professionnels de la culture et les décideurs en la matière doivent repenser la culture, ses obligations envers les artistes et son rôle dans la société. Quand je vois que dans 200 maisons de culture la lumière manque, les bibliothèques ne sont pas nettoyées et que les gens volent
les chaises et les miroirs de ces établissements, je me sens désolée et meurtrie. Il s’agit de rééduquer les gens et de punir les contrevenants aux règles du vivre ensemble car l’impunité est devenue une maladie qui ronge la société tunisienne. La culture a le rôle d’éduquer une société aujourd’hui sans repères et non pas de défendre comme le font quelques camarades.
- Si la Tunisie n’a pas encore fait sa révolution culturelle par quoi faudrait-il commencer?
- Il faut commencer par réconcilier les Tunisiens avec la lecture. Les tunisiens ne lisent pas en moyenne un livre par an. Il faut ré-inculquer aux générations futures l’amour de créer ensemble et de se rassembler pour l’amour de l’art, dans des ciné-clubs et autres, comme on le faisait avant du temps de ma génération. Il faut réapprendre l’acte collectif de la culture et l’acte de comprendre la culture…
Propos recueillis par L.C