Le Temps (Tunisia)

Voyage dans l’univers des conteuses populaires du Maghreb, avec la Franco-algérienne Nora Aceval

- ( RFI)

Nora Aceval, native des hauts plateaux algériens, est une conteuse passionnée de la littératur­e orale. Installée en France depuis les années 1970, elle travaille à la collecte et à la traduction des contes de sa région natale et s’investit dans leur transmissi­on auprès d’un grand public. Elle est aussi l’auteur de plusieurs recueils de contes populaires et différents albums pour la jeunesse. Elle vient de faire paraître aux éditions Al Manar un nouveau recueil intitulé Contes soufis de la tradition populaire.

« Un brigand vagabond rendit l’âme. Une fois au ciel, l’ange l’invita au paradis. L’homme s’étonna : « Mais il y a erreur. Ma vie ne fut fondée que sur pillage, mensonges et mystificat­ion. » « Je sais », dit l’ange. « Mais Dieu t’accorde le paradis parce qu’un jour, tu as sauvé un chien. En sauvant ce chien, tu as sauvé ton âme… », raconte Nora Aceval.

Nora Aceval est conteuse en arabe et en français. Diseuse hors pair, elle sait, pendant les veillées de contes, tenir en haleine son auditoire séduit par l’intelligen­ce de son verbe et son charisme. Elle fait vibrer petits et grands en suspendant son public au destin de ses personnage­s. Ils sont princes tisserands, sultans, petits écouteurs de rosée et autres imams amoureux, tous issus de l’imaginaire rural des hauts plateaux dont la conteuse est originaire.

Un riche corpus

Étonnant parcours, celui de cette grande dame de la littératur­e orale arabe, née d’un père pied-noir et d’une mère algérienne. Conteuse de mère en fille, cette franco-algérienne se targue de posséder un riche corpus de plusieurs centaines de contes, puisés pour l’essentiel dans l’immense répertoire de sa mère. Celle-ci fut conteuse traditionn­elle dans la tribu nomade des Ouleds Sidi-khaled à Tousnina, dans le sud-ouest algérien. Située aux portes du désert, cette région est riche en imaginaire­s, colportés par les nomades transhuman­ts qui viennent y poser leur paquetage le temps d’une saison d’été.

Nora Aceval est l’héritière de la tradition orale du conte arabe, mais aussi des contes occidentau­x appris auprès de sa famille paternelle d’origine espagnole. Elle a grandi dans les années 1950, dans la ferme familiale, au rythme des veillées de contes nocturnes. « Comme Obélix, je suis tombée dedans dès ma naissance », se souvient la conteuse. « Ma mère, poursuit-elle, avait une mémoire de conte fabuleuse et tous les soirs – on n’avait pas la télévision à l’époque, c’était la guerre d’algérie. C’était le couvre-feu. Donc, ma mère éteignait les lumières et elle nous disait un conte tous les soirs et on s’endormait toujours avec beaucoup d’espoir. Et quelquefoi­s, on avait des veillées tout simplement en famille. Il y a des contes phares que j’ai gardés en mémoire qui me viennent de ces veillées. Je me souviens d’autres veillées avec ma grand-mère et d’autre veillées encore avec ma tante maternelle. »

Une mémoire fabuleuse

Quoi d’étonnant à ce que, fille, petite-fille, nièce de conteuses, Nora Aceval soit devenue conteuse à son tour ? L’intéressée aime raconter les chemins de traverse qu’elle a empruntés pour renouer avec l’art et la tradition de ses aïeules, dont elle s’était un temps éloignée en venant s’installer en France dans les années 1970. Le tournant aura lieu lorsque, à 39 ans, elle abandonne son métier d’infirmière et s’inscrit à l’université de Villetaneu­se, dans la banlieue parisienne, pour se spécialise­r dans l’étude de contes.

« Vous êtes conteuse, Nora », lui dira son professeur de maîtrise en l’écoutant un jour raconter en classe des contes et légendes de son Algérie natale. Trente années se sont écoulées depuis, mais l’ancienne étudiante remercie encore ce professeur perspicace qui l’a aidée à prendre pleinement conscience du précieux talent hérité de sa mère. Elle est surtout héritière de sa mémoire fabuleuse et se souvient dans les moindres détails les récits que celle-ci racontait à ses enfants pendant les veillées familiales.

« On ne devient pas conteuse, on naît conteuse », aime affirmer Nora Aceval. Celle-ci partage aujourd’hui son temps entre des voyages de collecte dans sa terre natale et les veillées de contes dans les salons de livres et dans les théâtres. Les organisate­urs d’événements sont de plus en plus nombreux à la solliciter pour venir partager avec leurs publics ses histoires magiques de princesses, d’ogres, de djinns et d’autres sorcières.

"La Femme aux 1001 contes"

Devenue pour ses admirateur­s « la Femme aux 1001 contes », la conteuse surprend parfois son auditoire en leur présentant des récits libertins, avec pour protagonis­tes des femmes qui revendique­nt haut et fort leur droit au plaisir de la vie et de la chair. À mille lieux de l’image stéréotypé­e que l’on se fait des sociétés orientales, la littératur­e populaire maghrébine abonde en situations et personnage­s délicieuse­ment licencieux et drôles, affirmant l’irréductib­ilité absolue de la jouissance et de la liberté, explique Nora Aceval : « On a toujours imaginé que dans une société musulmane, ce genre d’histoires ne circulent pas, mais c’est faux. Ce genre d’histoires circulent et ce sont souvent les femmes qui les racontent entre elles. Ce n’est pas obscène du tout, juste grivois. En résumé, les femmes disent aux hommes : « Ce n’est pas parce que je suis enfermée ou cloîtrée que je ne peux pas te tromper. Donc, il faut me laisser ma liberté. »

Conteuse passionnée de la littératur­e orale de sa contrée natale, Nora Aceval est aussi l’auteure de plusieurs livres de contes. Son dernier recueil intitulé Contes soufis de la tradition populaire est une véritable somme de sagesses universell­e qui n’ont d’orientales que leur provenance. Ces récits ont trouvé en Nora Aceval, pétrie de sa double culture arabe et française, une ambassadri­ce à la hauteur de leur intelligen­ce et leur sensibilit­é.

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