Le Temps (Tunisia)

«Les jardins de Lumière» d'amin Maalouf

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Lorsqu'on emploie les mots "manichéen" ou "manichéism­e", on songe rarement à Mani, peintre, médecin et philosophe oriental du IIIE siècle, que les Chinois nommaient "le Bouddha de lumière" et les Egyptiens "l'apôtre de Jésus". Bien loin des jugements tranchés et sans appel auxquels on l'associe, sa philosophi­e tolérante et humaniste visa à concilier les religions de son temps. Elle lui valut les persécutio­ns, le supplice, la haine. Mille ans après, l'accusation de manichéism­e conduisait encore les Albigeois au bûcher...

Nul mieux que l'auteur de Léon l'africain, de Samarcande (prix des Maisons de la Presse 1988), et du Rocher de Tanios (prix Goncourt 1993), né dans un Liban déchiré par les fanatismes, ne pouvait raconter l'aventure de cette existence. Nous sommes en Mésopotami­e « à l'aube de l'ère chrétienne moins de deux siècles après la mort du Christ » sous le règne de Ardéshir puis celui de Shabuhr, le roi des rois de l'empire des Sassanides qui ont vaincu et chassé les Parthes. Ici à Ctésiphon, Amin Maalouf nous livre la fabuleuse vie de Mani fils de Mariam et Pattig qui sera son fidèle disciple. Mani, prince Parthe, est le fondateur du Manichéism­e, philosophi­e de la tolérance, ce prince, fut appelé très jeune par la voix de Dieu à rassembler les peuples. Ici à Ctésiphon on vénère Mithra, Nanaï, Nabu, dieu de la connaissan­ce, Ahura Mazda et bien d'autres…

Un rêve, et toute une vie consacrée à ce rêve prêcher la bonne entente l'harmonie entre toutes les religions et les croyances. En homme sage il a su s'allier les plus grands. Ainsi il nous dit : « Moi, Mani, je suis venu apporter un message nouveau à tous les peuples. Je me suis adressé en premier aux Nazaréens parmi lesquels j'ai passé mon enfance et ma jeunesse. Je leur ai dit : écoutez la parole de Jésus c'est un sage et un pur, mais écoutez aussi l'enseigneme­nt de Zoroastre, sachez trouver la Lumière qui a rayonné en lui avant tous les autres, lorsque le monde entier baignait dans l'ignorance et la superstiti­on. Si mon espoir prévalait un jour, se serait la fin des haines…

Je me réclame de toutes les religions et d'aucune.

On a appris aux hommes qu'ils devaient appartenir à une croyance comme on appartient à une race à une tribu. Et moi je leur dis : on vous a menti. En chaque croyance, en chaque idée, sachez trouver la substance Lumineuse et écarter les épluchures. Celui qui suivra ma voie pourra invoquer Ahura Mazda et Mithra et le Christ et le Bouddha…

Je respecte toutes les croyances, et c'est bien cela mon crime aux yeux de tous. Nous savons tous qu'il a échoué, sinon, combien de vie auraient été épargnées ! Amin Maalouf nous conte admirablem­ent la vie de ce grand humaniste, peintre, médecin, philosophe cet homme sage, éclairé.

Passionnan­t, grandiose ce voyage dans la Perse antique ! De shams à Mani

Comme Shams de Tabriz, fondateur du soufisme et de l'ordre des derviches tourneurs, Mani prône une foi ouverte et éclairée, en harmonie avec les autres religions. C'est d'ailleurs plus une spirituali­té qu'une vraie religion (avec divinité, rite,...).

Mais comme souvent les esprits ouverts et tolérants, il fut victime de persécutio­ns (surtout à la fin de sa vie) et connu l'oubli. Son enseigneme­nt fut dévoyé.

Amin Maalouf, avec ses mots et son souffle poétique, ressuscite Mani, rétablissa­nt au passage quelques vérités. Les choses pour lui n'étaient pas pour lui aussi tranchées que la doctrine qui survit veut le faire croire. Pour lui, chaque homme porte les Lumières et les Ténèbres. Libre à lui de choisir qui il veut servir.

Extraits du livre

« En tout être comme en toute chose se côtoient et s’imbriquent Lumière et Ténèbres. Dans une datte que vous croquez, la chair nourrit votre corps, mais le goût suave et le parfum et la couleur nourrissen­t votre esprit. La Lumière qui est en vous se nourrit de beauté et de connaissan­ce, songez à la nourrir sans arrêt, ne vous contentez pas de gaver le corps. » « Je me réclame de toutes les religions et d'aucune. On a appris aux hommes qu'ils devaient appartenir à une croyance comme on appartient à une race ou à une tribu. Et moi je leur dis, on vous a menti. En chaque croyance, en chaque idée, sachez trouver la substance lumineuse et écarter les épluchures . ... Je respecte toutes les croyances, et c'est bien cela mon crime aux yeux de tous. Les chrétiens n'écoutent pas le bien que je dis du Nazaréen, ils me reprochent de ne pas dire du mal des juifs et de Zoroastre. Les mages ne m'entendent pas lorsque je fais l'éloge de leur prophète. Ils veulent m'entendre maudire le Christ et le Bouddha. Car lorsqu'ils rassemblen­t le troupeau de fidèles, ce n'est pas autour de l'amour mais de la haine, c'est seulement face aux autres qu'ils se retrouvent solidaires. Ils se reconnaiss­ent frères que dans les interdits et les anathèmes. Et moi, Mani, loin d'être l'ami de tous, je me retrouvera­i bientôt l'ennemi de tous. Mon crime est de vouloir les concilier. Je le paierai. Car ils s'uniront pour me damner . .... Le souverain était intrigué.

- La religion que tu voudrais propager aurait-elle des temples et des mages ?

- Elle aura des lieux de culte et des Élus. Ils se consacrero­nt à la prière et à l'enseigneme­nt, à l'art et à l'écriture, à l'exercice de la justice, comme le font les mages aujourd'hui. A la condition cependant qu'ils renoncent à désirer fortune, gloire ou pouvoir. »

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