Enthousiasme et …inquiétudes
Kais Saied a enfin révélé, ce qui n'était à vrai dire un secret pour personne : son intention d'amender la constitution. S'il en a constitutionnellement parlant l'initiative, en vertu de l'article 143, il n'en reste pas moins que cela répond à des conditions assez précises dont notamment l'avis de la Cour constitutionnelle, qui vérifie s'il n'y a pas d'amendements pouvant porter atteinte aux matières dans lesquelles la révision est interdite, à savoir les droits et les libertés et la forme démocratique du pouvoir. Evidemment Kais Saied n'a pas l'intention de toucher à la forme démocratique du pouvoir et encore moins aux droits et aux libertés.
Mais entre la parole et l’action il y a le texte de loi qui peut susciter des interprétations différentes. C’est la raison pour laquelle l’intervention de la Cour constitutionnelle est prévue. Mais en l’occurrence, en cas d’absence de celle-ci, seule peut y suppléer, le référendum, qui donne la latitude au peuple de se prononcer. Encore que celui-ci est réglementé par le code électoral (articles 76 et suivants) qui est lui-même à réviser.
Cela dit, pour ceux qui sont contre l’idée d’un amendement de la Constitution, Kais Saied est totalement out, car il agit en même temps au nom de la Constitution, tout en l’enfreignant, estimant qu’il a violé notamment l’article 80, pour cause : cet article suppose, outre l’obligation de requérir la Cour constitutionnelle, que le Parlement soit en état de session permanente. Ce qui n’est pas le cas, les députés ayant été gelés. Le gel des députés n’est pas prévu non plus par l’article 80.
Il n’en reste pas moins qu’il s’était de prime abord adressé directement au peuple, en mettant le doigt sur le mal à savoir la corruption, dont sont suspectés entre autres certains députés. C’est ce qui a emballé une bonne frange parmi les citoyens qui a approuvé son attitude quand bien même elle ne serait pas tout à fait conforme à la Constitution.
Maintenant qu’il a manifesté publiquement sa volonté d’amender la Constitution, il ne doit pas s’emmêler les pinceaux, bien qu’il compte sur l’appui du peuple, qui est son atout majeur.
Pouvoirs présidentiels plus étendus ?
Ses détracteurs qui tiennent évidemment à la forme du régime actuel, qui les arrange plus, étant donné l’hégémonie exercée par le Parlement sur l’exécutif, ne seront pas d’accord et feront tout pour s’y opposer. C’est la raison pour laquelle un certain nombre parmi eux, dont des députés gelés, a signé une pétition contre l’amendement de la
Constitution. Ils craignent que cela débouche vers une dictature cautionnée en quelque sorte par le référendum sur une nouvelle forme de la Constitution qui donnerait plus de pouvoirs au président de la République. Avec un régime présidentiel, ils seront plus ou moins déstabilisés, et n’auront pas la faculté d’agir sur la scène politique avec la même envergure. Mais quels mécanismes ?
Eh bien c’est là qu’est le hic, car on se demande si Kais Saied va agir conformément à la Constitution et auquel cas c’est l’application des articles
144 et suivants
qui s’imposerait. Selon ces articles toute initiative de révision de la Constitution impose l’intervention de la Cour Constitutionnel, qu’elle émane du Président de la République ou de l’assemblée des représentants du peuple.
En l’occurrence et en l’absence de ces deux organes est-ce l’impasse ? A moins que le Président compte s’adresser directement au peuple par voie de référendum. Celui-ci serait plutôt proche du plébiscite.
La limite entre le plébiscite et le référendum est parfois difficile à établir. Le référendum a le sens de « scrutin au cours duquel les citoyens expriment leur soutien ou leur opposition à une mesure proposée par un gouvernement ou par une initiative populaire ». Alors que le plébiscite est le détournement de l'objet d'un référendum en vue de légitimer un homme.
C’est le raisonnement que tiennent d’ailleurs les détracteurs de Kais Saied, qui affirment que le référendum ne fera que légitimer sa tendance à avoir des pouvoirs plus étendus
afin de mieux faire asseoir la
dictature.
Cela dit, en ce qui concerne le fond, on se demande sur quoi porteront les amendements envisagés par Kais Saied, afin qu’il satisfasse comme il l’a encore affirmé dernièrement à l’avenue Bourguiba, les revendications du peuple. Est-ce concernant la forme du régime, qui selon la Constitution actuelle, ne lui donne pas de pouvoirs étendus, ou estce concernant les relations des organes du pouvoir entre eux ?
En finir avec l’immobilisme politique
C’est que les constituants de 2014, voulaient en finir avec un régime présidentiel avec des pouvoirs du président de la République
étendus, en vertu de la constitution de 1959, qui du reste a été aggravée par de multiples révisions dans ce sens.
En vertu de la constitution de 2014, le Président de la République bénéficie de peu de prérogatives et même dans certaines de ses compétences souveraines, il les partage avec le chef du Gouvernement et le chef du Parlement.
En France, la cohabitation, en vertu de laquelle, le pays était dirigé par deux adversaires politiques, à savoir le Président de la République et le Premier ministre, et ce, depuis 1986 et à trois reprises, a abouti à un immobilisme politique considérable sous Mitterrand. Il a fallu que Chirac rectifie le tir en réduisant à cinq ans la durée du mandat présidentiel.
Là aussi Kais Saied a l’intention de remédier à cette crise politique dont les causes essentielles sont dues aux tensions entre les partis politiques au sein d’un Parlement qui a dépassé ses prérogatives, finissant par semer le désordre et le chaos, mus par certains parmi ses membres qui se sont adonné à tous les abus, outre les enfreintes de la loi et les multiples malversations.
En réalité ce n’est pas la forme de la République qui va changer grand-chose à la situation, tant que la Cour constitutionnelle n’est pas installée et que la loi électorale n’est pas révisée.
Il est urgent en effet de modifier la loi électorale, afin de ne pas avoir des surprises et des déceptions parmi les candidats mus par les intérêts privés. On peut opter pour un mode de scrutin, qui favorise les compétences des élus et qui permettent la stabilité gouvernementale.
Face au « spectre d’une démocratie sans le peuple », selon la formule de Maurice Duverger, le modèle démocratique par excellence semble être le référendum, choix émanant directement des citoyens. C’est à quoi opterait à Kais Saied qui semble décidé à amender la Constitution. Y parviendra-t-il ?