Le Temps (Tunisia)

Certains de nos artistes sont loin de posséder une ouverture d’esprit

- Zouhour HARBAOUI

Nos artistes ont un problème pour s’exporter. Pourquoi ? La réponse est simple : ils sont imbus d’eux-mêmes et sont loin de posséder une ouverture d’esprit qui leur permettrai­t de faire montre de leur «savoir-faire» ailleurs…

Aucune insulte ou diffamatio­n dans cet article, juste une constatati­on : certains de nos artistes sont imbus d’eux-mêmes et sont loin de posséder une ouverture d’esprit. Résultat : ils n’arrivent pas à exporter leur «savoir-faire».

Mettons à part le cinéma et l’art plastique (peinture, photograph­ie, etc.), la grosse majorité des artistes évoluant dans les autres domaines de la Culture restent cantonnés à évoluer en Tunisie. Il faut écrire ce qui est : déjà en tant normal cette évolution est très restreinte ; il est vrai qu’il y avait un tas de festivals mais ils ne menaient pas loin car les tourneurs et autres directeurs de festivals étrangers n’étaient que peu invités. Il y en avait certains que l’on trouvait dans des événements comme les Journées Théâtrales de Carthage (JTC) ou encore les Journées Musicales de Carthage (JMC). Mais, la plupart était invitée non pas pour choisir des spectacles mais pour que les directeurs de nos festivals soient invités à leur tour… C’était du donnant-donnant : tu m’invites, je t’invite.

Puis, en toute sincérité, les tourneurs et autres directeurs de festival étrangers, notamment européens, étaient plus intéressés par les spectacles venant d’afrique subsaharie­nne que par les pièces ou les concerts tunisiens. C’est, en partie (l’autre partie est une ségrégatio­n pour ne pas écrire un racisme de la part des organisate­urs), pour cela que les JTC 2017, 2018 et 2019 ont vu très peu de pièces africaines subsaharie­nnes et ont été inondées par des pièces tunisienne­s et arabes dont la plupart était sans aucune valeur artistique et technique. D’où un palmarès complèteme­nt faussé…

Si l’on prend les résultats des différente­s sessions des JMC, il y a eu très peu de Tunisiens qui sont arrivés dans le trio de tête.

L’on comprend mieux pourquoi les organisate­urs ont créé des prix spéciaux réservés uniquement aux artistes tunisiens…

Puis, avec les situations sanitaire, sociale, économique, et politique que connaît notre pays, cela va de mal en pis pour les artistes, sauf pour quelques-uns qui continuent avec des perspectiv­es d’avenir ; ce sont les exceptions qui confirment la règle…

Un manque de continuité

Dès qu’ils obtiennent un prix, participen­t aux festivals chez nous ou à l’étranger, ou commencent à être un peu connus, nombre de nos artistes se confortent dans leur position sans chercher à faire dans le travail continu. Ils dorment sur leurs lauriers pensant que cela va durer pour l’éternité, trop imbus d’eux-mêmes pour aller de l’avant. Et un jour, ils se reçoivent une grosse claque dans la tronche qui les réveille brusquemen­t ; mais c’est trop tard. Ils essayent de s’en sortir mais tombent dans l’oubli. Ils essayent de se rapprocher des gens qui peuvent les aider et qu’ils avaient ignorés dans leur moment de «gloire» ; mais le mal est déjà fait.

D’autre part, beaucoup de nos artistes manquent gravement de créativité et d’originalit­é, piochant ici et là les idées d’autres, et les mettant ensemble comme un patchwork, ou alors, si l’on prend le cas de la musique, ils fouillent dans notre patrimoine folkloriqu­e pour «remixer» nos airs d’antan et faire croire que c’est une nouvelle version originale. Ne parlons pas de la musique «rap» : un ramassis d’inepties qui emberlific­ote une jeunesse dont la plupart des composants ne cherche même pas à s’en sortir –mais là est une autre histoire– et qui enrichit de manière frauduleus­e les poches des «chanteurs» dont la voix ressemble plus à celle d’écorchés vifs, et dont les niveaux culturel et intellectu­el sont en-dessous de la surface du sol… Non, nous n’avons rien contre la musique rap, nous l’apprécions quand le message est juste, justifiabl­e et justifié, et non justicier dans la vulgarité.

«Créativité créative imposée»

Le fait qu’ils soient imbus d’eux-mêmes empêche certains de nos artistes d’avoir une ouverture d’esprit qui leur permettrai­t d’obtenir un horizon plus grand. Ils ne font que se mordre la queue, croyant avoir la connaissan­ce infuse et absolue et ne cherchant pas à s’améliorer. Du coup, ils restent restreints à leurs connaissan­ces basiques –et parfois minables.

Certains s’essayent à la «lèche» dans les différents centres culturels en Tunisie, espérant avoir une opportunit­é d’aller se produire à l’étranger. Ce qu’ils ne savent pas ou font exprès de ne pas savoir (il faut bien se vendre), c’est que ces instituts font dans le paternalis­me colonial et servent très peu de trait d’union entre les artistes et les pays qu’ils représente­nt. De plus, ils imposent leurs diktats, ce qui dénature complèteme­nt la «créativité créative originale» en la transforma­nt en «créativité créative imposée». Puis quand ils n’ont plus besoin de l’artiste chaperonné ou quand celui-ci se rebiffe et se rebelle, ils le jettent comme une vulgaire entité infinitési­male.

D’autre part, beaucoup de nos artistes ont un gros problème de réseautage. Ils ne savent pas créer des réseaux fiables et utiles, s’enfonçant dans Facebook, Twitter, Instagram et autres, pensant que ces derniers pourraient les aider à arriver au firmament ; ce pourrait être un début mais ce n’est pas tout.

Heureuseme­nt, et comme nous l’avons écrit plus haut, quelques artistes sortent du lot. Tant mieux, sinon cela aurait la catastroph­e culturelle pour notre pays…

Le fait qu’ils soient imbus d’eux-mêmes empêche certains de nos artistes d’avoir une ouverture d’esprit qui leur permettrai­t d’obtenir un horizon plus grand. Ils ne font que se mordre la queue, croyant avoir la connaissan­ce infuse et absolue et ne cherchant pas à s’améliorer

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