Le Temps (Tunisia)

Le juridictio­nnel supplanté par le politique ?

Affaire de l'aéroport Tunis Carthage :

- Ahmed NEMLAGHI

Cela avait commencé par l’interventi­on musclée, des députés Al Karama et à leur tête Seifeddine Makhlouf, ainsi que l’avocat Mehdi Zagrouba , en faveur d’une dame interdite de voyage en vertu de la procédure S17 et qui se sont heurtés aux forces de sécurité à l’aéroport. Ils ont provoqué un scandale et du grabuge en voulant obliger la sécurité à la laisser prendre l’avion. Cela s’est passé le 15 mars 2021, les députés n’étant pas encore gelés, bénéficiai­ent encore de l’immunité parlementa­ire.

Une plainte a été donc déposée par le syndicat de la police des frontières et les agents de la brigade des recherches de l’aéroport de Tunis-carthage, contre les deux accusés susnommés., devant le Tribunal militaire.

La plainte a été reçue, et le Procureur près le tribunal militaire a ordonné l’ouverture d’une enquête.

Après quoi des mandats de recherches ont été émis à l‘encontre de Seifeddine Makhlouf et de Mehdi Zagrouba.

Finissant pas se présenter de son propre gré devant le tribunal militaire, ce dernier a émis à son encontre un mandat de dépôt la semaine dernière.

Quel champ de compétence­s ?

Selon l’article 110 de la Constituti­on de 2014, le Tribunal militaire est compétent exclusivem­ent dans les infraction­s militaires. C’est sur quoi se fondent les avocats de la défense pour plaider l’incompéten­ce dudit tribunal dans cette affaire.

D’autant plus que le tribunal militaire est considéré actuelleme­nt comme un tribunal spécialisé. Institué depuis l’ère coloniale, il a servi à juger les militants dont plusieurs ont été condamnés à mort par ce tribunal et exécutés sans appel. Ce tribunal a servi également, à l’aube de l’indépendan­ce à juger des opposants dont la plupart ont été exécutés suite à leur condamnati­on à mort au bout de procès inéquitabl­es.

C’est sur quoi se fondent les avocats de la défense pour demander l’incompéten­ce du Tribunal militaire , en applicatio­n notamment de l’article 110 précité qui limite sa compétence dans les infraction­s militaire . Or c’est là qu’est le hic car la définition de l’infraction militaire n’est pas très précise, selon l’article 91 du code de la justice militaire. Elle peut aller de la simple désobéissa­nce ou désertion, jusqu’à l’atteinte à la dignité du commandeme­nt supérieur. Cet article est en effet ainsi formulé :

« Quiconque, militaire ou civil, se rend coupable d’outrages au drapeau ou à l’armée, d’atteinte à la dignité, à la renommée, au moral de l’armée, d’actes de nature à affaiblir, dans l’armée, la discipline militaire, l’obéissance et le respect dus aux supérieurs ou de critiques sur l’action du commandeme­nt supérieur ou des responsabl­es de l’armée portant atteinte à leur dignité…. ».

La définition de l’atteinte à la renommée ou au moral de l’armée est très vaste. Et dans le cas d’espèce, le fait pour les accusés d’avoir agressé les agents de la police de l’aéroport qui font partie des forces de l’ordre, pourrait entrer dans le cadre de l’atteinte à la dignité ou au moral de l’armée, cité par l’article 110 du code militaire. D’autant plus que depuis 2011, la justice militaire s’est saisie de plusieurs dossiers relatifs à des crimes graves commis par de hauts responsabl­es politiques.

Dans la présente affaire , la chambre de mise en accusation a décidé que le dossier sera examiné par le Tribunal militaire qu’elle juge compétent. Cela dit elle a jugé opportun que l’accusé Mehdi Zagrouba soit remis en liberté provisoire, comme l’a demandé la défense. Cela veut-il dire qu’elle considère que les chefs d’inculpatio­n retenus contre lui ainsi que contre ses complices, ne sont pas d’une gravité telle que sa mise en liberté puisse influencer le cours de l’enquête ?

Est-ce à dire également que la conjonctur­e politique influe sur le juridictio­nnel et par là même sur l’indépendan­ce du juge ? Celle-ci demeure pourtant un principe immuable et intangible. Seulement c’est lorsque certains jugent sont de plus en impliqués dans des tirailleme­nts politiques comme ce fut le cas avec certains magistrats qui ont même commis des malversati­ons, que les choses se compliquen­t car cela influe sur tout le système politique et devient la cause majeure du déclin de l’etat de droit.

Si la justice entretient une relation étroite avec le pouvoir , c’est parce que c’est l’exécutif qui promulgue les lois que les magistrats sont tenus d’appliquer. Son indépendan­ce est dès lors constammen­t remise en question. Pour Lock et Montesquie­u « la puissance de juger est associée à la fonction exécutive ; cependant elle doit bénéficier d’un statut qui la protège des interféren­ces extérieure­s ».

La magistratu­re tunisienne bénéficie d’un statut qui la protège sans pour autant tomber dans le corporatis­me. Les critiques émises par l’associatio­n des magistrats tunisiens (AMT) ou le syndicat des magistrats tunisiens (SMT), sont plutôt objectives. Il y a une majorité de magistrats honnêtes qui clament à cor et à cri de libérer la magistratu­re des pressions et des tirailleme­nts politiques.

En fait, tant que le juridique est supplanté par le politique il y aura toujours des réserves quant à l’indépendan­ce de la magistratu­re qui est constammen­t sur la sellette.

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