La langue française fait de la résistance
A quelques semaines du Sommet de la Francophonie :
Sans doute importe-t-il de rappeler qu’à l’aube de l’indépendance, cette langue a trainé à la fois un avantage et un inconvénient : le premier est celui de son historicité faisant preuve d’un ancrage difficile à éluder, le second est celui d’un mauvais souvenir de la même historicité, en l’occurrence le colonialisme et ses méfaits divers.
« La langue française est un otage de guerre »
Difficile de se débarrasser du legs de l’histoire sans de fâcheux dégâts ! Aussi le jeune État tunisien a-t-il opté pour la devise de Kateb Yacine selon laquelle « la langue française est un otage de guerre », dont il est plus intelligent de tirer profit plutôt que de jeter les meilleurs fruits avec l’eau sale qui les a lavés. Le repère de ce choix restera toujours feu Mahmoud Messaâdi.
Le premier coup porté à la langue française en Tunisie est celui de l’opération d’arabisation mal conduite et mal comprise à partir des années soixante-dix du siècle dernier. Elle a commencé dans les années soixante-dix du siècle dernier et sa figure de proue, indépendamment des exécutants directs, demeure Mohamed Mzali. Cette politique s’est attribué un certain scientisme exclusif qui a fini par banaliser les sciences humaines et avec elles les langues, surtout la langue française. On aura hérité de cette époque l’arabisation cavalière de la philosophie dans le sens d’une culture réductrice de la pensée du progrès et limitative de la rationalité. Le résultat en fut la montée de l’intégrisme.
Cependant, la langue française a pu y résister à la fois par son ancrage historique assimilé dans son rapport aux Lumières plutôt qu’à la colonisation, et par un regain d’intérêt pour cette langue aussi bien dans les milieux scolaires et universitaires que dans la vie sociale où la presse francophone, la littérature de langue française et des cercles culturels ont réussi à développer des actions cultivant l’intelligence d’une ouverture linguistique et civilisationnelle comme un paravent contre l’extrémisme et l’exclusivisme. Un grand espoir a été mis, au début du régime du 7 novembre 1987, dans des compétences de gauche, comme
Difficile de se débarrasser du legs de l’histoire sans de fâcheux dégâts! Aussi le jeune État tunisien a-t-il opté pour la devise de Kateb Yacine selon laquelle « la langue française est un otage de guerre », dont il est plus intelligent de tirer profit plutôt que de jeter les meilleurs fruits avec l’eau sale qui les a lavés. Le repère de ce choix restera toujours feu Mahmoud Messaâdi.
feu Mohamed Charfi, feu Moncer Rouissi et autres cadres toujours en vie, pour restructurer, réformer et moderniser l’enseignement en général, avec un intérêt intelligemment porté sur la question des langues, surtout le français dans l’émulation (qui deviendra concurrence) présidant à son rapport à l’anglais.
Mais le résultat ne fut pas à la mesure de l’espoir qui y a avait été mis. Il faut bien dire donc que les années précédant le changement de janvier 2011, un certain fléchissement de la langue française a commencé à se faire sentir dans les écoles et à l’université ; mais la situation s’est aggravée depuis ce changement, à la fois pour des défaillances pédagogiques et surtout par des manipulations idéologiques. Des voix s’élèvent de plus en plus aujourd’hui pour appeler même à la suppression du français dans les premières années de l’école de base et à son remplacement par l’anglais. Si l’on ne prend pas conscience de la gravité de tels appels, on aura sans doute à en subir des dégâts difficiles à réparer.
Nous n’avons rien contre l’anglais ni contre toute autre langue et notre conviction est qu’un « homme vaut autant d’hommes qu’il n’en connaît de langues ». Ainsi, il est toujours triste et malheureux de rater toute chance de posséder une langue, fût-elle celle du pire ennemi, surtout celle de l’ennemi comme le préconiserait un hadith du Prophète (« Si tu veux te protéger du mal d’un peuple, apprends sa langue »). De ce point de vue, la langue française a un capital de validité et de vitalité qu’il est plus raisonnable de rentabiliser au mieux tant au niveau individuel qu’au niveau sociétal. Une réflexion approfondie et une conversation intelligente autour de cette question donnerait plus de visibilité et de perméabilité à une telle perspective. Le Sommet de la francophonie pourrait en constituer un contexte favorable, mais le débat devrait déborder ce cadre pour une vision civilisationnelle cohérente de notre société ; il engage la responsabilité des secteurs de l’éducation, de l’enseignement et de la culture, en plus de la société intellectuelle et de la société civile
Un mot pour clore quand même : ce n’est ni la marginalisation du français ni la valorisation de l’anglais qui consolideront notre maîtrise et notre amour de la langue nationale. Celle-ci nécessite une attention particulière et une réflexion profonde, en rapport peut-être avec ce qui est dit ci-dessus, mais dans une perspective plus large et plus essentielle…