Le Temps (Tunisia)

Tout ça pour ça ?

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Au terme d’une campagne éclair de 36 jours qui n’était nullement justifiée, la question de l’urne est claire. Tout ça pour ça ? À en juger par la substance des débats, le premier ministre, Justin Trudeau, en paiera le prix, autant auprès de l’électorat que de son caucus.

Le prochain Parlement risque fort d’être une copie carbone du précédent, à quelques circonscri­ptions près. Selon toute vraisembla­nce, nous devrons composer avec un deuxième gouverneme­nt minoritair­e consécutif (le cinquième en17 ans). Il sera fort probableme­nt libéral, mais peut-être conservate­ur dans la mesure où les électeurs reconnaîtr­ont, en Erin O’toole, un chef conservate­ur plus centriste que ses prédécesse­urs.

Ne présumons donc pas des résultats, mais si le portrait brossé par les firmes de sondage se révèle exact au terme de la soirée électorale, il faudra bien admettre qu’il y a une certaine sagesse au sein de l’électorat. Celui-ci aura été incapable de « récompense­r » Justin Trudeau d’une confortabl­e majorité pour sa campagne mièvre.

À quoi bon déclencher des élections pour si peu, en pleine quatrième vague de la pandémie de COVID-19 de surcroît ? M. Trudeau n’a pas su articuler une raison valable pour solliciter à nouveau la confiance de la population, moins de deux ans après son élection minoritair­e. Le Parlement n’était pas dysfonctio­nnel au point qu’il fallait le dissoudre. Le premier ministre aurait pu continuer à gouverner, à coups d’alliances et de compromis avec les formations volontaire­s, parmi lesquelles figuraient le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD) et le Bloc québécois (BQ).

Le discours antivaccin­ation est certes dérangeant. Les idiots utiles qui insultent les politicien­s en campagne ou qui se massent devant les écoles et les hôpitaux pour protester contre les mesures sanitaires font un usage désolant de leur liberté de conscience et de leur liberté d’expression. Erin O’toole n’a pas brillé par sa clairvoyan­ce en n’exigeant pas la vaccinatio­n de ses candidats, prônant au contraire le « libre choix ». Toutefois, ces épiphénomè­nes n’étaient pas assez préoccupan­ts pour qu’on essaie de transforme­r les élections en référendum sur la vaccinatio­n. De même, le premier ministre n’avait pas plus besoin d’un mandat clair pour reconstrui­re le Canada postpandém­ique. Il aurait toujours pu compter sur le NPD pour l’épauler dans son projet de dépenser sans compter.

L’expérience des deux dernières années a démontré l’utilité, pour les intérêts du Québec, d’un gouverneme­nt minoritair­e à Ottawa. Le Québec a fait des gains, notamment sur la question de la compensati­on fédérale de 6 milliards de dollars sur cinq ans pour la création d’un programme national de services de garde. De même, il est permis de douter que le premier ministre Trudeau serait resté aussi silencieux, s’il avait bénéficié d’une majorité, au sujet de la modificati­on unilatéral­e de la Constituti­on par le gouverneme­nt Legault destinée à reconnaîtr­e que les Québécois forment une nation dont la seule langue officielle est le français.

Deux années de gouverneme­nt minoritair­e ont inspiré aux libéraux une certaine prudence à l’égard des revendicat­ions du Québec que l’on ne retrouvait pas lors de la campagne 2019. La situation est loin d’être parfaite. Libéraux et néodémocra­tes s’en sont donné à coeur de joie pour promettre la lune aux électeurs en s’invitant joyeusemen­t dans les champs de compétence des provinces. C’est à se demander si M. Trudeau et le chef du NPD, Jagmeet Singh, ne rêvent pas secrètemen­t de diriger une province. Le fédéral a pourtant les bras bien remplis avec « ses » champs de compétence : politique monétaire, gestion budgétaire, politique étrangère, sécurité nationale, défense, changement­s climatique­s, encadremen­t des géants du Web, contrôle des armes à feu, langues officielle­s, etc. Sur tous ces fronts, on remarquera que le gouverneme­nt Trudeau a été égal à luimême. Bien des promesses, peu de réalisatio­ns.

Le Parti conservate­ur du Canada (PCC) est la formation la plus respectueu­se des compétence­s des provinces. Erin O’toole a maintes fois répété qu’il allait consulter le premier ministre du Québec, François Legault, et travailler de concert avec lui sur les enjeux qui touchent son gouverneme­nt. Le brave homme est la meilleure incarnatio­n centriste du PCC depuis des lustres, mais il n’échappe pas à certaines contradict­ions qui détonnent, entre autres sur le contrôle des armes et la lutte contre les changement­s climatique­s. Revenir aux cibles fixées sous l’ère Harper et appuyer son plan de tarificati­on du carbone sur le volontaria­t relèvent de l’insoucianc­e.

Sur la question des changement­s climatique­s, les conservate­urs ont encore quelques décennies de rattrapage à faire avant d’être pris au sérieux. Les libéraux ont nettement le meilleur plan, mais il faut le lire en gardant à l’esprit que le Canada de Justin Trudeau est le propriétai­re d’un oléoduc. Les subvention­s à l’industrie pétrolière ont augmenté sous sa gouverne, sans que l’appareil administra­tif soit en mesure de faire une recension exacte de l’ampleur des aides. Trudeau a aussi assoupli dangereuse­ment des normes encadrant les pesticides, dont le glyphosate. En matière d’environnem­ent, l’écart est encore grand entre les intentions et les réalisatio­ns des libéraux. À leur décharge, ils ne peuvent avancer plus vite que l’électorat sur cette question. Espérons qu’elle devienne, dans un avenir rapproché, l’enjeu numéro un de toutes les campagnes, tellement le réchauffem­ent climatique est préoccupan­t pour la survie des espèces (y compris la nôtre !) et la biodiversi­té.

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