Pour faire du crapaud une colombe …
En fait, le maquillage politique n'est pas leur métier premier. C'est une profession d'appoint et de circonstance qu'ils peuvent, dans plusieurs situations, exercer simultanément avec leur métier de base. Journaliste et maquilleur, par exemple, qui peut évoluer en journaliste-maquilleur ; avocat-maquilleur aussi, plus maquilleur qu'avocat par moments, professeur-grimeur émérite aussi. Le plus étrange dans ce domaine, c'est que de nombreux chômeurs renommés s'avèrent être d'excellents grimeurs de politiciens et politiciennes. Plus étrange encore, l'art chez ces esthéticiens tripatouilleurs de se grimer eux-mêmes jusqu'à se transformer en experts touche-à-tout et en chroniqueurs polyvalents invités par toutes les chaînes de radio et de télévision pour tout analyser et tout expliquer. Al Jazira, Al Arabiya, France 24, CNN (pourquoi pas?) leur font confiance en effet pour proposer leurs lectures de la situation dans le pays, la région, le monde et l'univers.
Ces derniers temps, les maquilleurs commencent à pulluler notamment parmi l'intelligentsia qui naguère vilipendait les flagorneurs et les courtisans autour de Bourguiba, de Ben Ali, de Moncef Marzouki , de Bajbouj et de Rached Ghannouchi. Ote-toi de là que je m'y mette, quoi ! En même temps, les démaquilleurs prospèrent : ceux de l'opposition (maquillée) qui, hier seulement, étaient dans le camp des maquilleurs des trois Présidences. Comme les députés de L'ARP, nos esthéticiens politiques passent allègrement d'un bloc maquilleur à un autre; et c'est toujours par obédience et loyauté au plus offrant des demandeurs de maquillage. Loi de l'offre et de la demande oblige, SVP.
Il faut reconnaître que, par les temps qui courent, ça gagne pas mal, un maquilleur (une maquilleuse). On en connaît qui se sont acheté des villas cossues grâce à leurs talents de grimeurs-nés ! Ils ont carte blanche pour se rendre quand ils veulent (parfois en voiture officielle escortée) à Carthage, à la Kasba, au Bardo ou à Montplaisir ! Ils ont les numéros de téléphone privés des plus hauts responsables et ils peuvent appeler ces derniers à toute heure. Même la pandémie du Covid-19 et le port des masques qu'elle a imposé à tous, hommes politiques compris, n'ont pas privé les maquilleurs "particuliers" de clientèle ! Contrairement aux esthéticiennes des mariages, les grimeurs politiques travaillent à plein temps.
C'est "normal", comme diraient les jeunes d'aujourd'hui ! La scène politique s'est tellement enlaidie, les hauts responsables se sont tellement déformés et défigurés, que le secours des maquilleurs devient une urgence vitale, presque un devoir patriotique. Les gens vomissent la politique et les politiciens tant ils leur déplaisent. Les acteurs sont moches et ils ont tout amoché autour d'eux. Même leurs grimeurs font mal leur boulot : maquilleurs et maquillés sont aussi monstrueux les uns que les autres.
Mais voilà que des grimeurs non moins horribles à voir naissent ou renaissent après le 25 juillet. Et rebelote, donc ! Comme si nous n'avions le choix qu'entre les plus et les moins fardés politiquement. Comme si le naturellement beau n'existait pas en politique. Qui sait ? Peutêtre que, finalement, nous avons les grimeurs et les grimés que nous méritons ! Après tout, le peuple tunisien se fait grimer, lui aussi. On ne lui connaît pas un seul visage, ni deux, ni trois ! Une barbe hirsute hier, rasé de très près aujourd'hui ! Voile entier l'hiver, bikini l'été ! Le partisan d'ennahdha en 2011 soutient Nida Tounès en 2014, et crie "le Peuple veut" en 2021 ! Alors vivent le maquillage, les maquilleurs et les maquillés ! Si toutefois il reste encore quelque chose ou quelqu'un à maquiller dans notre chère et belle Tunisie dénaturée, amochée, déparée, par ses propres enfants "experts-défigureurs"!